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contraire à l’étourderie et à l’indocilité dont on m’accuse. En effet, loin que ce soit par mon étourderie et par mon indocilité qu’on ait manqué l’enlèvement de cette flotte, il est très seur au contraire qu’elle ne m’échappa que par la manœuvre de M. de Forbin. Dès que nous fûmes en travers, le commandant anglais reconnut qui nous étions, et voyant que ce n’était pas une troupe de pirates, ainsi qu’il l’avait cru, il ordonna à toute la flotte de prendre la fuite, ce qu’elle fit, les cinq vaisseaux de convoy la suivant en ligne, à petites voiles : c’est ce que tous ceux qui étaient sur l’escadre de M. de Forbin et sur la mienne ont vu, et c’est cette fuite qui, augmentant le désespoir où j’étais de me voir dans l’inaction, m’en fit sortir avec ardeur. Je crus avoir assez donné à la subordination. Il ne s’agissait plus que de faire force de voiles pour joindre les ennemis, puisque le jour s’avançait, et que nous ne pouvions, sans une lâcheté qui n’aurait point eu d’excuse, laisser échapper cette flotte.

« Que les personnes judicieuses, et surtout les gens du métier jugent si mon ardeur était blâmable, et si les vues, l’inaction et l’incertitude de M. le comte de Forbin sont justifiées. »

Ainsi, Forbin accusait du Guay-Trouin de vivacité, d’étourderie et d’insubordination, et celui-ci lui répondait par les mots de lâcheté, inaction, incertitude, et cela vingt-deux ans après l’affaire ! Quelles invectives ne durent-ils pas échanger dans le cabinet de Pontchartrain, alors qu’il s’agissait de convaincre ce ministre, et par suite le Roi lui-même ! Entre ces extrêmes, où est la vérité ?

Il est certain d’abord que la frégate anglaise le Ruby fut enlevée à l’abordage par le Maure de l’escadre de du Guay-Trouin, et non pas par le Mars commandé par Forbin.

Cela résulte formellement de la déclaration faite à Brest par le capitaine de vaisseau anglais Perkins, commandant le Ruby, prisonnier de guerre. Voici en effet l’extrait de son interrogatoire par messire Guy de Coëtlosquet, chevalier, seigneur de Kerannot, conseiller du Roy, lieutenant général civil et criminel du siège de l’Amirauté de Léon, assisté de maître Joseph Tanguy, interprète juré de la langue anglaise :

« Interrogé, etc.

« Répond que le vendredy vingt unième de ce mois, environ les neuf heures du matin, convoyant la flotte à la hauteur de 49° 40′, au Sud-Ouest des Sorlingues, il eust connaissance de