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monopôle de fait. Cela est si vrai qu’au Japon, paraît-il, un même mot désigne à la fois l’aveugle et le masseur. Et, comme le massage est là-bas d’une pratique tout à fait courante, comme on y voit une prescription élémentaire d’hygiène à peu près comme les anciens en voyaient une dans les bains répétés, il y a là une véritable richesse pour les aveugles. Ne serait-ce pas une mesure prudente, pour un pays où la brusque importation de civilisations étrangères risque de briser toutes les traditions à la fois, que de fixer par la loi ce monopole de fait ? Je sais tous les inconvéniens des monopoles. Mais, avec une sage réglementation, peut-être pourraient-ils être évités ; et, à tout jamais, la question de l’assistance aux aveugles serait tranchée pour les Japonais. Ce n’est pas une mince affaire dans un pays où, à cause des miasmes marécageux que transportent les vents, les ophtalmiques sont en très grand nombre. En tout cas, reconnaissons que les Japonais ont eu les premiers le mérite de comprendre que l’aveugle est le plus discret des masseurs. Ils ont compris surtout que l’aveugle vivant essentiellement par le toucher, organisant sa vie tout entière autour d’impressions tactiles comme le clairvoyant l’organise autour d’impressions visuelles, était en quelque sorte masseur par prédestination.

En France, le champion du massage par les aveugles est un aveugle, le docteur Fabre. Ayant perdu la vue vers la trentaine, il eut l’énergique volonté de conserver entière son activité et de ne rien abandonner de son indépendance. Il se livra alors à des études spéciales de massage, et s’installa comme masseur à Paris, où, très rapidement, sans appui, grâce aux succès thérapeutiques qu’il obtenait, il s’est constitué une fort belle clientèle. Son exemple était singulièrement encourageant. Dans le même temps, M. Vaughan conseillait à un aveugle de suivre des cours de massage à Paris ; à Lille, un autre aveugle tentait la même entreprise ; à Lyon, la section locale de l’Association Valentin Haüy formait deux masseurs sous la direction du professeur Lépine. Rien ne pouvait mieux faire sentir la vitalité de l’idée nouvelle que cette simultanéité de tentatives qui s’ignoraient les unes les autres.

Le docteur Fabre a tenu à faire profiter ses compagnons d’infortune de son heureuse innovation. En collaboration avec un autre confrère aveugle, le docteur Bouisson, il professe un cours de massage à l’Association Valentin Haüy. Pour apprendre