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et en oublie ou rejette au second plan qu’un autre estimerait plus utiles à mettre en lumière. Soit, mais qui peut se flatter de posséder un critérium infaillible de la valeur relative des témoignages et des événemens ?

M. Aulard, par exemple, néglige dans son Histoire politique de la Révolution la Constitution civile du clergé. Est-ce là un fait sans conséquence, un de ceux dont on peut croire qu’ils n’ont pas exercé une « influence évidente et directe » sur la marche des événemens ? Nul ne le prétendra. Le vote de la Constitution civile est une des fautes initiales de la Révolution. L’obligation du serment a détaché ou écarté de la Révolution la grande majorité du clergé et des fidèles qui l’avaient d’abord acclamée. Et si déplaisante que fût cette constatation, il a bien fallu se résigner à la faire. Seulement, le parti au pouvoir a essayé de déplacer les responsabilités. Il a rejeté sur les prêtres réfractaires la responsabilité des troubles causés par la question religieuse, comme si le vote de la Constitution civile et l’obligation du serment n’avaient pas précédé le refus de prêter ce serment. Un décret de l’Assemblée législative contre les prêtres insermentés (20 août 1792) s’appuie sur ce considérant « que les troubles excités dans le royaume par les ecclésiastiques non sermentés sont une des premières causes du danger de la patrie. » Assurément, mais à qui la faute s’il y a une question des prêtres « non sermentés ? » M. Aulard supprime le point de départ, comme le supprimaient eux-mêmes les révolutionnaires. Les prêtres réfractaires ont l’air de s’insurger sans raison, comme les Jacobins de Taine ont l’air de s’emporter sans motif. Dirons-nous que M. Aulard est de mauvaise foi et cherche à égarer son lecteur ? Rien de tel. Il est simplement victime de sa conception historique. Il ne voit pas ce qui se passe de l’autre côté de la barricade, parce qu’il s’est placé à un poste d’observation d’où il ne peut pas le voir.

Taine, de son côté, néglige les événemens extérieurs. Ce n’est pas à dire qu’il les omette par système. S’il en fait trop bon marché, c’est qu’il ne les voit pas, n’en ayant pas besoin pour expliquer le phénomène qu’il étudie. Son esprit logique et déductif cherche au-delà. Il collectionne les « petits faits significatifs, » en négligeant les dates et les lieux. Sa logique constructive l’entraîne à tenir insuffisamment compte du temps et de l’espace, circonstances accessoires à ses yeux, et qui le sont