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le tort de se faire une part dans le gaspillage général, avait entrepris d’y porter remède : il s’était assuré pour cela du concours d’un homme résolu, M. Joâo Franco. On sait ce qui s’en est suivi : M. Franco, honnête, énergique, mais insuffisamment habile, a essayé de porter le fer rouge dans la plaie. Tout le monde s’est conjuré contre lui, les monarchistes parce qu’ils voyaient leur échapper la proie qu’ils avaient l’habitude de se partager, les républicains parce qu’ils voulaient opérer eux-mêmes la régénération du pays. M. Franco a procédé en dictateur ; on lui a reproché d’user de procédés anticonstitutionnels. Bref, le Roi a été assassiné avec son fils aîné, et M. Franco a échappé par la fuite aux colères qu’il avait amassées sur sa tête. Le roi Carlos une fois mort, le seul moyen de sauver la monarchie aurait été, de la part des monarchistes, une conversion immédiate à des pratiques nouvelles ; mais ils n’ont même pas songé à la faire et ont continué d’exploiter le régime comme si rien ne s’était passé. Les républicains ont naturellement profité de tant de fautes accumulées, attendant leur heure qu’ils sentaient prochaine, et préparant leur coup qui ne pouvait manquer. La justice immanente des choses ne perd jamais ses droits. Si on laisse de côté les personnes du Roi, de la Reine mère, de quelques serviteurs fidèles, on ne saurait s’apitoyer sur le sort de la monarchie portugaise. Sa mort a été un véritable suicide, et les républicains n’ont en qu’à repousser un cadavre déjà en décomposition.

Reste à savoir maintenant ce qu’ils feront eux-mêmes et s’ils réussiront mieux à faire durer la république que les autres n’ont réussi à maintenir la monarchie. Avons-nous besoin de dire que nous le souhaitons vivement ? Il n’y a pas de pire régime pour un pays que celui des révolutions successives : si les républicains portugais fondent un gouvernement stable et solide, nous serons les premiers à y applaudir. Pour le moment, nous sommes au lendemain d’un coup d’État militaire que le pays a accepté sans protestation, et, sur beaucoup de points, avec satisfaction. Coup d’État militaire, disons-nous : quelques journaux, dénaturant avec complaisance les faits les plus évidens, affirment que la révolution au Portugal a été l’œuvre du peuple, comme autrefois en France. Rien n’est plus exact pour la France, mais plus inexact pour le Portugal. Chez nous, le peuple a fait ses révolutions à ses risques et périls contre l’année restée fidèle : il n’en a pas été de même à Lisbonne : si on y veut des analogies, il faut les chercher à Constantinople plutôt qu’à Paris. Le danger de ces révolutions est que, faites par l’épée, elles peuvent un jour périr par l’épée. Il