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mezzadri le droit de se servir de leurs propres machines, se réservant seulement le privilège de les mettre en œuvre. L’année suivante, ils contestaient âprement ce même droit, sous prétexte que le travail des machines avait un caractère industriel. Les métayers répliquèrent qu’aux termes du contrat de mezzadria, ce n’était pas des gerbes, mais du grain qu’ils devaient livrer au propriétaire. Les braccianti firent intervenir successivement la Fédération Nationale des Travailleurs de la terre (novembre 1909) et la Confédération Générale du Travail (février 1910) : toutes deux, bien entendu, leur donnèrent raison. Les métayers pourtant refusaient de se soumettre. Alors la Confédération Générale du Travail ordonna de boycotter immédiatement tous ceux qui ne se conformeraient pas à sa décision. C’était la rupture violente entre mezzadri et braccianti. Le 17 avril 1910, la Chambre du Travail de Ravenne expulsa les métayers rebelles ; ceux-ci constituèrent aussitôt une Chambre nouvelle, et, dans toute la province, la lutte à outrance fut déclarée.

Elle se traduisit par des boycottages impitoyables et des bagarres sanglantes. L’acharnement était égal des deux côtés Dans les villes, dans les bourgs, le parti le plus fort exerçait sur l’autre une véritable tyrannie. Les boycottés se voyaient privés, non seulement de travail, mais de vivres : devant eux les boutiques se fermaient, et le boulanger refusait de cuire leur pain. Les victimes exaspérées se vengeaient par des actes ; de violence. Des coups de bâton, des coups de couteau furent échangés, un peu partout. À Ravenne, à Voltana, à Dozza, il y eut de vraies batailles, avec morts et blessés. Le gouvernement dut envoyer et maintenir pendant plusieurs mois en Romagne, outre des forces de police considérables, un corps d’occupation de quinze mille hommes. Il parvint, non sans peine, à réprimer dans son ensemble le mouvement révolutionnaire, mais ne réussit point à empêcher que les pires violences ne fussent exercées isolément contre la propriété et contre les personnes.

Le conflit ne mit pas seulement aux prises les deux classes rivales des métayers et des journaliers. Dès le début des hostilités, on vit toute la population de Romagne se diviser en deux camps : les ouvriers des villes prirent parti presque tous pour les braccianti ; les petits bourgeois, les commerçans, les artisans de certains métiers bien rétribués, par exemple les