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n’étaient pas rares sans doute non plus que les extrémités auxquelles ils conduisaient, mais ils étaient beaucoup moins communs dans la réalité que dans la littérature. Le plus souvent la jeune fille acceptait de bonne grâce l’époux que ses parens lui avaient choisi. Pour elle comme pour eux, les mariages de raison semblaient les meilleurs. Le mariage, avec l’indépendance qu’il permettait dans notre pays, avec la situation sociale qu’il conférait, faisait passer facilement sur le mari. Les convenances mondaines prescrivaient à la jeune fille de s’en rapporter sur ce point à ses tuteurs naturels. Vives lui fait un devoir de pudeur de se taire quand son père et sa mère en parlent devant elle, de ne leur manifester ni impatience, ni préférence. On n’est pas étonné de trouver le même scrupule de retenue et d’obéissance chez une précieuse du Grand Cyrus qui déclare à son prétendant que son propre bonheur n’était pas en son pouvoir et qu’il a fallu le commandement de ses parens pour qu’elle osât lui dire que son cœur est d’accord avec leur choix. Françoise de Chantal, désireuse de faire agréer par sa fille le comte de Toulongeon que celle-ci ne connaît pas encore, s’applaudit de l’avoir choisi sans la consulter : « Certes, je suis bien contente que ce soient vos parens et moi qui aient fait ce mariage sans vous ; c’est ainsi que se gouvernent les sages et que je veux, ma chère fille, être toujours de votre conseil… » On ne peut pas dire pourtant qu’elle lui impose son choix. Au contraire, elle se montre un peu inquiète de l’impression que va faire sur la jeune fille un prétendant qui a quinze ans de plus qu’elle et qui se trouve lui-même « un peu trop noir. » Si elle préjuge un consentement qu’elle souhaite vivement, cela ne veut pas dire qu’elle soit résolue à passer outre à une résistance devant laquelle Toulongeon paraît lui-même disposé à s’incliner. « Ecrivez-moi bien, comme vous le promettez, tous les sentimens de votre cœur, et si Dieu, comme je l’espère, l’a lié à celui de M. de Toulongeon. » Dans le Miroir des enfans ingrats, on voit un père consulter sa fille sur un parti que lui-même trouve avantageux. Un grand commerçant de Reims, âgé de trente-huit ans et veuf, ayant obtenu d’un bourgeois de la ville la main de sa nièce, âgée de dix-neuf ans, tient encore à l’obtenir d’elle-même et lui fait sa demande que la future agrée par une formule consacrée qui, pour être réservée, ne laisse pas d’être significative : « Je suis votre servante. » À Strasbourg, le