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pour que sainte Chantal eût à le combattre chez sa fille. Garder les souliers avec lesquels on s’est marié, les treize deniers des arrhes reçues par la femme, c’était s’assurer des chances de faire bon ménage. Mais faut-il ranger parmi les superstitions le prix attaché à ces premières reliques de la religion domestique ? Il ne faut pas y ranger non plus ces rites locaux tout imprégnés de poésie archaïque et rustique qui symbolisent ou le rapt, ou l’achat de l’épouse, ou la fondation d’un nouveau foyer, ou les vertus dont la nouvelle ménagère fera profiter celui-ci. C’était bel et bien, au contraire, une superstition que la croyance qui prêtait à l’animosité d’un rival, d’un ennemi, ou simplement à la malignité d’un mauvais plaisant, le pouvoir d’empêcher par le nouement d’aiguillettes la consommation du mariage. Pour que le maléfice réussît, il fallait serrer une aiguillette, c’est-à-dire un de ces cordons ferrés qui attachaient le haut-de-chausse au pourpoint, au moment où, en donnant la bénédiction nuptiale, le prêtre prononce le mot Sara. Cette croyance était partagée par les tribunaux, par le clergé. C’est elle qui explique tant d’unions nocturnes. On se figurait que le maléfice était conjuré par les ombres de la nuit, toujours si favorable pourtant aux sortilèges. Ceux qui étaient accusés de « ligatures » avaient affaire, à la justice. En 1591, Fremy du Coyet est condamné, de ce chef, à la torture, au bannissement et à une amende de vingt écus. L’Eglise les excommuniait et elle avait, pour écarter ce rémora du bonheur conjugal, une oraison qui était prononcée sur les nouveaux époux. Elle condamnait les recettes que le charlatanisme avait inventées pour en préserver et elle y opposait, comme le seul moyen efficace, l’approche préalable du sacrement eucharistique.

Nous voici arrivé au lendemain du mariage. La vie conjugale va commencer. Si nous nous bornons aujourd’hui à faire assister le lecteur à la formation du nœud qui la rend possible, ce ne sera pas sortir de notre sujet que de dire comment se desserrait ce nœud indissoluble et ce que devenait, au moment de sa rupture par la mort, la femme survivante.

En principe, c’est à la juridiction ecclésiastique, c’est aux officialités qu’il appartenait de prononcer la séparation de corps. En fait, celui des conjoints qui voulait l’obtenir, pouvait s’adresser aussi à la juridiction civile. Quand ils étaient d’accord, ils y procédaient même à l’amiable devant un notaire qui dressait