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instans avant, il la flétrissait comme apocryphe, il s’en plaignait à présent comme d’une indélicatesse que le code pénal italien ne permettait pas de punir. Des rectifications, des explications, avait-il le loisir d’en faire publier, lui Bismarck, lui l’homme le plus haï du royaume ? Fièrement il se faisait un piédestal de toutes ces haines qu’il inspirait, mais Mallinckrodt le ramenait au fait : — Oui ou non, les documens sont-ils vrais ? — Ils sont apocryphes, reprenait cette fois Bismarck acculé, et puis tout de suite, comme s’il sentait fléchir sous ses pas ce terrain de défense, il reprochait à Mallinckrodt de les avoir mal cités. D’ailleurs, demandait-il, ai-je cédé un pouce de territoire ? On n’a pas le droit d’abuser de la tribune pour forcer ainsi le représentant du gouvernement à se défendre contre des reproches que je ne puis qualifier d’aucun mot parlementaire. Mais la presse saura les qualifier… Et Mallinckrodt, implacable, reprenait : Ils sont signés, ces documens, ils ont des dates ; à vous de prouver qu’ils ne concordent pas avec les originaux… Bismarck n’en pouvait plus. L’assemblée docile prit en pitié sa colère. On cria : Clôture ! on projeta de sortir en masse lorsque le Centre renouvellerait de tels débats ; on lit dire par la presse que Mallinckrodt occupait une haute situation dans la Compagnie de Jésus, et l’on étouffa dans un tumulte d’invectives contre le Centre le bruit que méritait de faire une lettre de La Marmora, attestant l’authenticité des documens qu’avait cités Mallinckrodt. Mais les ennemis politiques du chancelier tenaient tête à l’orage, avec intrépidité.

Il se retournait alors, par tactique, vers les auxiliaires religieux dont l’impuissante pétulance bourdonnait sans cesse autour de lui, vers les vieux-catholiques. Il sentait leur propagande échouer ; eux-mêmes l’avouaient, avec franchise et méchante humeur. C’est la faute à Lutz et à la presse libérale, disait en Bavière le philosophe vieux-catholique Jean Huber : Lutz temporise et les journaux bismarckiens ne font dans le domaine religieux qu’une agitation nihiliste ; ils poussent les masses à l’athéisme, au lieu de les familiariser avec l’idéal religieux des vieux-catholiques. Et Jean Huber, voyant les masses rester « ultramontaines, » écrivait tristement, presque désespérément : « Il me semble que j’appartiens aux morts. » Le gouvernement prussien, cependant, s’évertuait à donner à ces morts quelque vie. Ils demeuraient si complaisans pour les pouvoirs civils, et si parfait était leur dévouement !