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majorité, si seulement une douzaine de membres du Centre consentaient à ne pas émettre un vote hostile, et à s’abstenir ; et l’on parlait de négociations possibles entre le gouvernement et les ultramontains. Le vieux Manteuffel excitait Guillaume contre les nationaux-libéraux, trop tièdes pour l’armée ; il l’excitait même contre Bismarck, qui avait ruiné le parti conservateur ; le grand-duc de Bade agitait l’idée de nommer un vice-chancelier, qui serait peut-être Hohenlohe. Vers le milieu de mars, Bismarck était tombé malade, et sans doute en remerciait Dieu : cela gagnait du temps, cela l’isolait. Dans son isolement, il concerta d’adroites manœuvres. Il tenait absolument à faire voter deux lois : celle qui devait peupler de soldats les casernes ; celle qui devait dépeupler l’Allemagne de ses prêtres. Le Centre était hostile à l’une et à l’autre ; les nationaux-libéraux détestaient la première, et plusieurs d’entre eux trouvaient la seconde un peu cruelle. De sa chaise longue, Bismarck fit un coup de maître. Il les conduisit à accepter que l’effectif militaire qu’il réclamait fût voté tout au moins pour une période de sept années ; il admit qu’au bout de ce temps, le Reichstag reprendrait le droit de discuter le budget militaire ; et puis, en échange de la concession qu’il affectait ainsi de leur faire, il leur demanda de voter contre les prêtres tout ce qu’il voulait. Ce qui restait encore à certains d’entre eux du libéralisme d’autrefois, c’était la défiance contre le militarisme et un certain souci de la liberté individuelle. Entre deux accès de neurasthénie, l’adroit chancelier avait fait avec eux un marché ; pour un léger sacrifice qu’il avait consenti à leur antimilitarisme, ils lui sacrifiaient à leur tour, et d’ailleurs sans beaucoup de tiraillement, la liberté individuelle et les droits civiques d’une certaine catégorie de citoyens, les gens d’Eglise. « Nous allons à l’impérialisme tel qu’il fonctionne en Russie, » constatait Mallinckrodt ; et il montrait du doigt l’imperator véritable, assis au banc des ministres, l’imperator devant qui tout se courbait. Ainsi, dans la première quinzaine d’avril, les bruits qui avaient couru d’une possibilité de pourparlers entre Bismarck et le Centre étaient démentis par la notoriété d’une combinaison toute différente, dont les nationaux-libéraux restaient le pivot et dont, une fois de plus, les prêtres seraient les victimes.

Mais au même moment où Bismarck avait décliné une occasion de causer avec le Centre, une curiosité le poussait à causer