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socialistes, Windthorst demanda que le Reichstag pût, s’il lui semblait bon, ordonner l’élargissement de ses membres ; il parla des prisons où les prêtres s’entassaient, et contre lesquelles les diplomates eux-mêmes, — c’est d’Arnim qu’il voulait parler, — avaient cessé d’être garantis. — Si les prisons se remplissent, repartit Bismarck, c’est que de hautes autorités donnent l’exemple de violer les lois. Les évêques ainsi visés trouvèrent un avocat ; ce fut Auguste Reichensperger. « Les assises de votre parti et celles du parti socialiste sont les mêmes, lui répliqua Bismarck ; vous prétendez, les uns et les autres, violer les lois au nom de votre conscience. » Une fois encore, devant les âmes émues, se livrait le duel séculaire entre la conscience morale et certaines exigences légales : Reichensperger fut l’avocat de la conscience, et son apologie fut superbe. Bismarck se tut ; on eut l’impression qu’il était « démonté ; » en réalité, cette évocation de certains droits primordiaux, supérieurs aux lois, le déconcertait. Derechef il eut un heurt avec le Centre au sujet de l’Alsace-Lorraine : « Vous n’avez pas l’art de gouverner des pays nouveaux, lui signifia Windthorst : le pire ministre des Colonies en Angleterre ne traiterait jamais ainsi une récente conquête. » Ces gens du Centre, dont le chancelier niait même le patriotisme, se permettaient de juger sa politique extérieure : Joerg, le 4 décembre, prononçait à ce sujet le mot de fiasco, et parlait incidemment du délire où l’attentat d’un homme à moitié fou avait fait tomber la nation allemande. Bismarck riposta, froidement d’abord, mais derrière ses lèvres, maîtresses encore d’elles-mêmes, un flux de colère grossissait ; et soudainement l’orage éclata. « Vous voudriez vous séparer de Kullmann, cria-t-il au Centre, mais il se cramponne à vos basques, il vous appelle sa fraction. » Il redisait un propos que lui avait tenu Kullmann : « J’ai voulu vous tuer à cause des lois ecclésiastiques ; vous avez offensé ma fraction. — Quelle fraction ? » Et Kullmann avait répondu devant témoins : « La fraction du Centre au Reichstag. » — « Oui, répétait le chancelier, vous pouvez chasser cet homme, il est attaché à vos basques. »

Tous les députés du Reichstag, tous les plénipotentiaires du Conseil fédéral, étaient debout. On riait, on sifflait, le président Forckenbeck s’agitait ; on voyait ses bras remuer la sonnette, mais le bruit pacifiant qu’il en attendait était couvert par le tumulte. Bismarck, pâle de rage, protesta contre les sifflets :