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du somnambulisme une interprétation peu conforme à la réalité. Pourquoi descendre à tâtons deux fois, je veux dire en tâtant de la main et des pieds la muraille et les degrés, un escalier facile, surtout pour une somnambule ? On assure que les personnes en cet état se promènent sur les toits à leur aise et sans broncher. Mme Bréval n’a pas eu l’esprit de l’escalier. Dans sa démarche, dans son geste et dans sa physionomie, dans sa diction et son chant, il eût fallu plus de rigidité. Jadis, en 1847, une artiste italienne, la Barbieri-Nini, qui fut aussi lady Macbeth dans le Macbeth de Verdi, le fut autrement, de par la volonté du maestro, laquelle, on le sait, était de fer. « Trois mois durant, » a raconté la malheureuse interprète, « matin et soir, j’essayai d’imiter les personnes qui parlent en dormant, qui prononcent les mots, disait Verdi, sans presque remuer les lèvres, tout le reste de la figure parfaitement immobile, y compris les yeux. J’ai cru que je deviendrais folle. »

Ses camarades ne furent pas ménagés davantage. Soit au piano, soit à l’orchestre, on répéta Macbeth une centaine de fois. Dès cette époque, Verdi montrait, comme il fit jusqu’à la fin de sa carrière, une exigence véritablement implacable. Un duo très important, pour baryton et soprano, avait été redit plus qu’à satiété. Le soir de la répétition générale, avant de commencer, il fallut le revoir encore. Le chanteur s’étant permis d’observer, un peu vivement, qu’on l’avait répété cent cinquante fois : « C’est encore vrai pour une demi-heure, répliqua Verdi ; après, vous l’aurez répété cent cinquante et une. » Mais autant il y avait, dans la volonté du maître, de force, voire de rudesse, autant il savait donner à son admiration, à sa reconnaissance, de profonde et touchante simplicité. À la fin de la première représentation de Macbeth, rapporte encore la Barbieri-Nini, « je le vis entrer dans ma loge, levant les bras et remuant les lèvres, comme s’il voulait me faire un discours. Mais il ne réussit même pas à m’adresser un mot. Je riais, je pleurais, incapable également de prononcer une syllabe. En regardant le maestro, je lui vis les yeux rouges. Nous nous serrâmes les mains avec force, et, précipitamment, il sortit[1]. »

Verdi paraît avoir eu pour cet ouvrage une complaisance particulière. Il en fit hommage en ces termes à Barezzi, l’un de ses amis les plus chers, le bienfaiteur de sa jeunesse et le père de sa première

  1. Sur le Macbeth de Verdi, consulter : Verdi, par Gino Monaldi, Torino, 1899 ; Fratelli Bocca). — Verdi, par Eugenio Checchi, Firenze, 1901 (Barbera).