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volonté est la loi suprême et que, puisque ses aïeux ont fait l’Empire, il a sur lui un droit sans égal. Ces idées sont d’un autre âge, mais l’Empereur les exprime éloquemment, avec une foi profonde, un accent mystique très saisissant, et, après tout, elles ne font de mal à personne. On se rappelle pourtant la crise violente qui s’est produite, il y a deux ans, contre le débordement de sa parole : toute l’Allemagne s’est émue ou a paru s’émouvoir, et un jour est venu où le Reichstag, qui la représente, a perdu à la fois patience et respect. Pourquoi ? Nous ne l’avons pas alors très bien compris. Ce qu’avait dit l’Empereur à un journaliste étranger n’avait rien de particulièrement dangereux, et il lui était arrivé souvent de tenir des propos du même genre sans que personne l’en reprît ; mais il paraît bien qu’on en souffrait secrètement ; peu à peu la mesure a été comble et une dernière goutte d’eau a fait déborder le vase ; il a débordé en tempête. Le prince de Bülow n’a fait aucun effort pour faire rentrer les vents dans l’outre d’Éole ; il a même paru souffler un peu dans la même direction qu’eux ; au lieu de défendre son maître, il lui a même mis publiquement un bâillon sur la bouche. Puisque M. de Bülow voulait être un ministre parlementaire, l’Empereur l’a laissé seul à seul avec le Parlement, qui n’a pas tardé à le renverser : il est à croire que Guillaume II a vu dans ce fait un juste retour des choses d’ici-bas. Au fond de l’âme, tout le monde a senti depuis qu’on était allé trop loin, que le prestige impérial était une force pour l’Allemagne et qu’on l’avait imprudemment diminué : aussi les socialistes ayant ouvert une interpellation au sujet des nouveaux-discours impériaux, M. de Bethmann-Hollweg, prenant le contre-pied de M. de Bülow, a déclaré que l’Empereur avait le droit de parler comme il l’avait fait, que toutes ses prétentions étaient légitimes et que, pour son propre compte, placé par la confiance de son souverain au-dessus des partis dont il se servait sans en servir aucun, car il ne sert que le pays, il ne dépendait pas du Parlement. Les socialistes, qu’il a fort malmenés, lui ont répondu avec colère et, dans une séance ultérieure, avec injures ; mais le Reichstag l’a approuvé de se mettre au-dessus de lui, voulant par là approuver l’Empereur lui-même et effacer autant que possible un souvenir devenu pénible pour tous. Alors l’ironie des choses humaines est apparue dans tout son éclat. On a admiré par exemple l’approbation délirante donnée au nouveau chancelier par M. Heydebrandt qui, il y a deux ans, s’était fait remarquer par son déchaînement contre l’Empereur. On lui a fait remarquer la contradiction, mais il a répondu qu’entre les deux situations, il n’y avait aucun rapport :