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arrivèrent les mêmes interrogations. Cette idée d’alliance rencontra une adhésion unanime dans le Conseil des ministres. Seul Georges Cantacuzène chercha à retenir ses collègues : le gouvernement princier devait subordonner son acquiescement à la cession, par le Cabinet austro-hongrois, de la Transylvanie, cette Roumanie irredenta. Le roi Charles, convaincu que, dans deux mois, Napoléon III serait battu et sa puissance brisée, que la guerre resterait localisée, ne crut pas qu’il eût à s’opposer à une décision de ses ministres se référant à une éventualité à laquelle il ne croyait pas, et il laissa communiquer par Strat à Gramont le télégramme suivant : « Roumanie parfaitement décidée à s’opposer de sa part dans cas d’occupation russe et à agir d’accord avec France pour repousser agresseur. Nous nous préparons activement, mais sans donner l’éveil pour que la provocation ne vienne pas de nous, et qu’on ne nous accuse pas d’être les premiers à nous départir de la neutralité que les traités nous imposent. Voilà les assurances que vous pouvez donner au duc de Gramont. Nous ne perdons pas une occasion pour manifester hautement nos sympathies et notre reconnaissance envers la France. Le chiffre exact de nos troupes en campagne sera de 30 000 hommes bien armés avec 60 canons. Il nous faudrait, le cas échéant, un emprunt de 15 millions de francs. À quelles conditions pourrait-on le contracter en Angleterre, où les conditions du marché doivent être actuellement plus favorables qu’en France[1] ?  »

Le prince devenu Roumain avait agi en Roumain : il s’était gardé de se mettre violemment en travers d’un mouvement qui l’eût débordé. Mais il ne va pas au-delà et ne cesse de sentir en Allemand. Il se dédommage de la contrainte à laquelle il s’astreint en envoyant au roi Guillaume l’expression de ses sentimens personnels : « Que Votre Majesté ne trouve pas indiscret de ma part de lui prendre quelques minutes de son temps pendant ces heures graves. Mais loin de ma vieille et chère patrie, à un poste difficile où toute expression de mes sentimens m’est interdite, une force irrésistible me pousse à le faire pour assurer que je m’associe par le cœur et par la pensée aux fidèles auxquels il est donné de suivre leur roi bien-aimé dans le sentier de la gloire. Votre Majesté ne saurait pas douter un instant de mes

  1. Télégramme chiffré du 26 juillet.