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criminelle : il se trouve qu’avec le pays ce sont eux et leurs successeurs qui en ont profité.

Les cahiers du Tiers État traitaient avec énergie et précision de la réforme judiciaire. Ils demandaient que la vénalité des offices fût abolie, que les juridictions fussent simplifiées, que tout privilège disparût, que les tribunaux fussent ramenés à leur fonction propre, qui est de rendre la justice et non de se mêler aux affaires de l’État. Toutes les plaintes contre l’esprit de caste et contre la cherté des procès, contre l’orgueil intransigeant des Parlemens et leur maladresse suprême à se mettre en travers de l’opinion publique, avaient été recueillies par les représentans des bailliages, avocats ou magistrats inférieurs. Mais, ce qui dominait ces doléances, la grande, l’unanime réclamation, non seulement du Tiers, mais des ordres privilégiés, c’était le vœu, ou plutôt la volonté absolue de mettre à bas, pour qu’il n’en restât rien, l’odieuse procédure criminelle. On est à la fin du XVIIIe siècle ; on a vu de terribles erreurs judiciaires ; on a constaté, et les écrits des philosophes en ont secoué tous les esprits, à quoi pouvait conduire une procédure qui laissait d’abord la liberté individuelle à la merci du pouvoir, et qui abandonnait ensuite, dans le secret le plus étroit, le sort, la vie d’un accusé aux horreurs de la question préalable et à l’absolue souveraineté des magistrats. De cela, personne ne veut plus, à aucun prix. Cet édifice, miné de toutes parts, s’écroule. Le 21 août, l’Assemblée rend un décret sur l’arrestation et la détention, qui protège la liberté individuelle. Les 8 et 9 octobre, un autre décret consomme la ruine de l’ancien système, en proclamant cette nouveauté qui devait transformer la justice même : la publicité du débat criminel.

Le débat public comportait, à l’égard des avocats, deux conséquences primordiales : l’accusé trouvait à l’audience un défenseur, pour discuter à ses côtés l’accusation ; et dans ce rôle infiniment varié, l’avocat avait pour spectateurs, non seulement les personnes présentes dans la salle de justice, mais la foule des lecteurs de journaux, car les journaux allaient immédiatement s’emparer de ce sujet tout neuf et d’un intérêt qui n’a pas vieilli, le compte rendu des procès. Ainsi le décret des 8 et 9 octobre 1789, qui réalise en France un des progrès les plus certains de la civilisation, crée du même coup l’avocat des causes criminelles et la chronique judiciaire. On s’en aperçoit