Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

français. Nulle part sa tâche n’est plus délicate, plus dangereuse aussi : l’accusé n’a de ressource qu’en lui, et pâtira de ses moindres fautes. Nulle part le plaisir de la parole n’est plus vif ; car c’est à la foule que parle l’avocat, et toutefois il a le droit d’être écouté, parce qu’il est le seul soutien du criminel. Les dons les plus rares et les plus différens, la fougue qui remue, le sang-froid qui discute, ne lui sont pas de trop. Parfois d’ailleurs l’audace, la ruse, l’emphase, si périlleuses qu’elles soient, peuvent lui réussir. En tout cas, il a découvert sans tarder qu’il avait à la Cour d’assises an champ vaste, un combat plein d’imprévu : il en a merveilleusement profité. Le XIXe siècle a vu se former la race nouvelle des avocats d’assises. Il a vu également de parfaits avocats, entraînés plutôt à la plaidoirie civile, qui développaient tout à coup devant le jury une éloquence plus brillante et plus chaude. Il y eut enfin d’admirables orateurs, partout égaux à eux-mêmes, et dont la parole portait avec une force pareille au cœur des jurés et à la raison des juges. Paillet, Berryer, Chaix d’Est-Ange, Jules Favre furent les plus illustres de ces maîtres. Parmi les spécialistes, Lachaud eut une éclatante renommée. Et sans doute, des plaidoyers qu’ils prononcèrent, comme de la plupart des œuvres oratoires, on peut dire que le meilleur était leur action, leur voix, leur geste, et que tout cela a péri avec eux, avant eux. Pourtant la publicité de l’audience, le caractère émouvant du débat leur avaient attiré des auditeurs ; et ils avaient donc, pour assurer et perpétuer leur gloire, l’impression qu’ils avaient faite directement sur cet auditoire, c’est-à-dire la force des souvenirs qui se racontent aussitôt, qui se transmettent, de bouche en bouche, et transmettent aussi quelque chose de la secousse éprouvée au choc d’une parole puissante. Cela, les avocats de jadis ne l’avaient pour ainsi dire pas connu. D’ailleurs, un grand nombre de ces plaidoiries ont gardé la chaleur, le mouvement, la vie même. Il en est deux entre toutes, qu’on peut toujours lire et relire avec intérêt, avec émotion, comme des modèles de l’art de l’avocat : celle de Paillet pour Mme Lafarge, celle de Chaix d’Est-Ange pour le malheureux La Roncière. Par la science de la composition, par le choix habile et sûr des argumens, par le style enfin, tout frémissant de la volonté d’agir, elles représentent une nouveauté qui mérite sa place, une belle place, dans notre littérature.