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II

Dans un État qui fait peau neuve, il serait injuste d’attacher trop d’importance à la correction constitutionnelle et légale des mesures prises ; si elles étaient excellentes, quoiqu’en contradiction avec les textes, les populations les recevraient avec reconnaissance. Certes, le fonctionnement normal de la machine gouvernementale exerce un effet régulateur sur la marche générale de la vie nationale, mais la méthode d’autorité peut avoir aussi ses avantages. Si l’on compare les réformes réalisées par les Jeunes-Turcs avec la masse de celles qui restent à accomplir, on est porté à trouver leur œuvre insignifiante ; mais, si on les mesure au temps dépensé et aux difficultés surmontées, on est enclin à un jugement plus équitable. Essayons de suivre dans ses diverses branches l’activité réformatrice du nouveau régime.

Il serait à peine exagéré de dire que la seule réforme qui tienne vraiment au cœur des Jeunes-Turcs, c’est celle de l’armée ; à celle-là seulement ils ont apporté une énergie, un esprit de suite qui leur auraient fait faire des merveilles s’ils l’avaient appliqué dans tous les autres domaines. En réalité, ce peuple est resté militaire avant tout ; il a fait sa révolution beaucoup plus par nationalisme, pour sauvegarder son indépendance et sa dignité nationale, que par amour de la liberté politique ; aussi a-t-il commencé sa régénération par l’armée. L’influence de Mahmoud-Chefket pacha et de ses collaborateurs s’est exercée vigoureusement dans ce domaine où ils étaient compétens. L’outillage a été amélioré et complété ; les artilleurs ont appris à se servir du matériel neuf acheté chez Krupp par Abd-ul-Hamid ; sous l’impulsion de Von der Goltz pacha et des instructeurs allemands, officiers et soldats ont beaucoup travaillé, et les grandes manœuvres qui ont rassemblé, cet automne, 70 000 hommes dans la plaine d’Andrinople, ont révélé aux observateurs impartiaux les progrès accomplis. La révision des grades, après la chute d’Abd-ul-Hamid, a permis doter les grands commandemens aux généraux de cour et d’éliminer beaucoup d’officiers ignorans. Les troupes ont été réparties en trente-neuf divisions et quatorze corps d’année, sans compter le corps du Yémen et la division de Tripolitaine. Ces grandes unités sont constituées [dès le temps de paix sur un type