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d’une mauvaise cause, il leur était facile, au 13 avril 1909, de faire cause commune avec les Albanais ; en se soulevant ils auraient rendu impossible la marche sur Constantinople : c’est le contraire qui eut lieu. Mais bientôt les choses changèrent de face : le succès même de l’armée de Macédoine accrut l’influence et exagéra l’arrogance de l’élément militaire. En Macédoine, la plupart des officiers jeunes-turcs, qui naguère encore étaient chargés de la poursuite des bandes, ne purent s’accoutumer à traiter en citoyens ottomans, avec patience et justice, ces mêmes Bulgares qu’ils traquaient la veille comme des ennemis. Un à un les anciens chefs de bandes, les patriotes bulgares, disparurent, assassinés ou obligés de quitter le pays. Molestés de nouveau, les chrétiens commencèrent à douter des promesses de la révolution et, les esprits s’animant de part et d’autre, on en vint à croire à l’impossibilité d’un accord pacifique. Les idées « libérales » des Jeunes-Turcs élevés en Occident durent s’effacer devant les passions xénophobes et nationalistes des officiers. Les musulmans, en Macédoine, renoncèrent à l’ottomanisation avant d’en avoir fait une insuffisante expérience, et revinrent aux vieilles pratiques turques de domination par la force. Les idées d’égalité ne servirent plus que de paravent vis-à-vis de l’Europe et de prétexte commode pour enlever aux chrétiens leurs antiques privilèges, rançon de leur ancienne inégalité, pour abolir les juridictions spéciales, détruire les organisations nationales, fermer les écoles, entraver le développement des groupes non turcs. Ainsi reparaissait la vieille conception des réformes telles que les comprenaient les ulémas, d’après le droit et les traditions de l’Islam : le sultan ne doit pas être un despote pour les musulmans, mais ceux-ci, en vertu de la supériorité de leur religion et de leur force, doivent régenter souverainement les chrétiens. L’idée, aujourd’hui, devient même plus exclusive ; elle réserve l’hégémonie aux seuls Turcs qui, sauf exceptions, sont l’élément le, moins avancé en civilisation et le moins instruit. Ils craignent qu’avec un régime d’égalité sincèrement pratiqué le rôle principal ne passe aux élémens non turcs, et ils ne voient qu’un moyen d’assurer le maintien de leur suprématie, la force.

Les Albanais furent les premières victimes de cette nouvelle politique. Nous avons raconté déjà ici l’expédition de Djavid pacha dans la Haute-Albanie, les ravages qu’elle a exercés et