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les fermens de haine qu’elle a laissés derrière elle. Au printemps, l’Albanie était en armes, frémissante de colère, altérée de vengeance. Il fallait éviter un soulèvement général. Mahmoud-Chefket pacha vint dans le pays, négocia avec quelques chefs, puis commença l’opération générale du désarmement ; cette fois, la mesure ne visait plus seulement les Albanais, mais aussi les chrétiens de Macédoine. Des bataillons arrivèrent d’Asie, avec des officiers brutaux, des soldats sauvages ; les six bataillons de chasseurs qui, sous Abd-ul-Hamid, avaient été chargés de la poursuite des bandes, furent renforcés, et l’opération du désarmement commença. En réalité, sous prétexte de désarmement, on voulait saisir les fils de l’organisation bulgare et sévir contre les anciens comitadjis. Dans les villages musulmans de l’Albanie, l’opération fut faite avec rigueur, mais sans trop grandes violences ; il n’en fut pas de même dans les cantons chrétiens d’Albanie et de Macédoine. Les soldats s’abattirent sur le pays, comme une horde de barbares, ravageant les campagnes, arrêtant et torturant les hommes, violant les femmes ; village par village, méthodiquement, la Macédoine subit des horreurs auxquelles le nom de Torghout pacha restera attaché.

À Monastir, deux bataillons d’Asie viennent camper aux portes de la ville ; les chevaux dévastent les vignes, les soldats pillent les villages, coupent les arbres, perquisitionnent, sous la direction de leurs officiers, dans les maisons des chrétiens ; les hommes sont arrêtés en masse, sous prétexte qu’ils ne livrent pas toutes leurs armes ou qu’on les soupçonne d’être affiliés à une organisation nationaliste ; les prisonniers sont entassés dans les casernes, sans être interrogés, sans même qu’on leur demande leurs noms ; presque partout, ils sont froidement et méthodiquement soumis à la torture par le bâton ; à Kruchevo, à Demir-hissar, à Perlepe, les soldats se distinguent par leur cruauté ; des paysans sont roués de coups, leurs pieds et leurs mains sont mutilés par la bastonnade ; d’autres sont attachés, tout nus, et laissés dehors toute la nuit. À Negotin, un officier arrive avec vingt hommes et, sous prétexte de venger son frère, tué il y a plusieurs années dans la région, il fait subir les pires traitemens à la population ; cinq hommes meurent des suites des tortures endurées. À Monastir, les chrétiens arrêtés et torturés sont contraints, sous menace de mort, de signer un papier attestant qu’ils n’ont subi aucun mauvais traitement et, à Berlin,