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mais leur démarche n’en constituait pas moins, aux yeux des populations slaves de la Turquie d’Europe, une sorte de consécration du nouveau régime ; elle signifiait que les populations chrétiennes devaient s’accommoder du gouvernement ottoman et arranger avec lui leurs affaires sans attendre aucun appui du dehors. La Bulgarie, n’ayant pas fait la guerre en 1908, quand l’occasion paraissait s’en offrir à elle, n’a aucun intérêt à la faire aujourd’hui à ses grands risques et périls ; elle préfère vivre en bonne intelligence avec les Turcs et obtenir d’eux des avantages pour son commerce et la jonction de ses chemins de fer : on a annoncé que la ligne de Koumanovo serait construite au printemps prochain. La Serbie a besoin, pour communiquer avec la mer, d’entretenir de bons rapports avec la Turquie. C’est par Salonique qu’elle reçoit ses canons, ses fusils, ses munitions, et qu’elle exporte son bétail et ses pruneaux ; si la Turquie venait à lui fermer ce débouché, elle serait réduite à capituler entre les mains du gouvernement de Vienne. Les Monténégrins étaient jusqu’ici en très mauvais termes avec leurs voisins Albanais ; des vendettas séculaires les mettaient aux prises sur les frontières ; la politique jeune-turque les a réconciliés ; les Albanais fugitifs ont trouvé asile et appui dans la Montagne Noire ; cinq mille Albanais, pour la plupart catholiques, sont actuellement en armes dans les montagnes du pays Malissore, et il est probable que c’est par le Monténégro qu’ils reçoivent des armes et des munitions. Les Serbes de la Vieille-Serbie, pourchassés par les soldats turcs, se sont, eux aussi, réfugiés au Monténégro. Le fier petit îlot de montagnes est redevenu une terre d’asile et son rôle s’en est trouvé grandi. Quant à la Grèce, la question crétoise l’empêche de chercher un rapprochement avec la Turquie ; toutefois, si les Turcs renonçaient vis-à-vis d’elle à leurs procédés comminatoires, au boycottage par exemple, ils ne s’exposeraient pas à voir s’opérer un rapprochement nuisible à leurs intérêts entre la Bulgarie et la Grèce. Nous ne croyons pas que ce rapprochement soit très avancé, mais déjà, en Macédoine, Grecs et Bulgares ont renoncé à se combattre, et si l’oppression des chrétiens continuait en Turquie, la force des circonstances imposerait aux gouvernemens l’entente et même l’alliance. Contre une Turquie agressive, il n’y a qu’un moyen de résistance : l’union balkanique. Une pareille coalition, même si elle réussissait à se former,