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la plus simple en théorie, n’avait pas besoin de concours multiples, ne se compliquait pas d’influences imprévues, et n’aboutissait pas enfin à travers des volontés qui ne dépendent plus de nous ! Cette foule que parfois nous regardons passer de nos fenêtres, et dont nous nous plaisons à observer le cortège bariolé, entre dans notre vie, quoi que nous en ayons : aujourd’hui surtout, où plus qu’à aucune autre époque peut-être, chacun dépend de tous. Nous avons beau fermer nos portes : il arrive toujours un moment où elle délègue un de ses représentans innombrables, bientôt suivi d’autres, qu’elle pousse jusqu’à notre foyer. Cette inquiétante et puissante confusion, ces chocs, ces heurts, ces bousculades, ces élans de fièvre et de folie, ce passage ininterrompu de masques qui grimacent ou sourient, rien ne rend mieux tout cela que les romans de Rovetta. Au jeu des intérêts et des passions qui se meuvent au hasard sur la scène du monde, répond la variété des acteurs. Côte à côte, pressés, dans un contraste qui ajoute encore à l’impression de réalité qu’ils dégagent, arrivent les jeunes et les vieux, les riches et les pauvres, ceux qui portent des habits de fête ou des habits de deuil. Arrivent les ouvriers, les professeurs, les rentiers, les artistes. Arrivent les nobles, païens des Bourbons de Naples, dont les filles épousent les bourgeois riches d’avoir vendu de la farine et de la mortadelle. Arrivent les officiers, les brillans officiers de cavalerie, dépensant sans compter les écus que les banquiers juifs sont prompts à recueillir. Arrivent les jeunes filles en mal de mari ; et les veuves qui arrêtent au passage ceux qui veulent bien les consoler ; et les dévotes ridées ; et les cuisinières rubicondes ; et les servantes fidèles, qui aiment mieux renoncer à leurs gages qu’au plaisir de servir leurs maîtres ; et les écuyères françaises, grandes séductrices de cœurs légers. Arrivent les aventuriers et les aigrefins, qui ne laissent à personne leur place dans la société, et se fraient un passage à travers la littérature ou la finance. Le mieux réussi est celui qui incarne en lui le plus de caractères divers, héros, charlatan, orateur, écrivain, agioteur, patriote ; sensuel et sensible, raffiné et goulu, homme d’honneur et canaille ; celui qui porte un nom sonore comme sa voix, ample comme sa personne, beau comme sa barbe : Matteo Cantasirena (La Baraonda). Il mène la ronde effrénée de ces personnages multiples, dont chacun s’arrête assez longtemps pour qu’on le voie bien, avant de recommencer à