Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/447

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous êtes aujourd’hui songeuse et solennelle,
Nuit tombale où se meut l’odeur d’un oranger ;
Je veux tracer mon nom sur votre blanche stèle,
Et méditer en vous avec un cœur figé.

Mais, hélas ! je ne peux diminuer ma plainte,
Je suis votre jet d’eau, murmurant, exalté,
Mon cœur jaillit en vous, épars et sans contrainte,
Vaste comme un parfum propagé par l’été !

Pourquoi donc, douce nuit aux humains étrangère,
M’avez-vous attirée au seuil de vos secrets ?
Votre muette paix, massive et mensongère,
N’entr’ouvre pas pour moi ses brumeuses forêts.

Qu’y a-t-il de commun, ô grande Sulamite
Noire et belle, et toujours buveuse de l’amour,
Entre votre splendeur étroite et sans limite,
Et nous, que le temps presse et quitte chaque jour ?

Pourquoi nous tentez-vous, dormeuse de l’espace,
Par votre calme main apaisant notre sort ?
Jamais l’homme ne peut rester sur vos terrasses
Bien longtemps, à l’abri du rêve et de l’effort,
Puisque vivre c’est être alarmé, plein d’angoisse,
Menacé dans l’esprit, menacé dans le corps,
Luttant comme un soldat sans arme et sans cuirasse,
Puisqu’on naviguera sans atteindre le port,
Puisque après les transports il faut d’autres transports.
Puisque jamais le cœur ne rompt ni ne se lasse,
Et que, si l’on était paisible, on serait mort…


RETOUR AU LAC LÉMAN


Je retrouve le calme et vaste paysage :
C’est toujours sur les monts, les routes, les rivages
Vos gais bondissemens, chaleur aux pieds d’argent !
Le monde luit au sein de l’azur submergeant
Comme une pêcherie aux mailles d’une nasse ;