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Je vois, comme autrefois, sur le bord des terrasses,
Des jeunes gens ; l’un rêve, un autre fume et lit ;
Un balcon, languissant comme un soir au Chili,
Couve d’épais parfums à l’ombre de ses stores.
Le lac, tout embué d’avoir noyé l’aurore,
Encense de vapeurs le paresseux été,
Et le jour traîne ainsi sa parfaite beauté
Dans une griserie indolente et muette.
Soudain l’azur fraîchit, le soir vient ; des mouettes
S’abattent sur les flots ; leur vol compact et lourd
Qui semble harceler la faiblesse du jour
Donne l’effroi subit des mauvaises nouvelles…
Il semble, tant l’éther est comblé par des ailes,
Que quelque arbre géant, par le vent agité,
Laisse choir ce feuillage agile et duveté.
Et le soleil s’abaisse, et comme un doux désastre,
Frappé par les rayons du soleil vertical
Tout s’attriste, languit ; le lac oriental
A le liquide éclat des métaux dans les astres ;
Et le cœur est soudain par le soir attaqué…

Et tous deux nous marchons sur les dalles du quai.
Nous sommes un instant des vivans sur la terre ;
Ces montagnes, ces prés, ces rives solitaires
Sont à nous ; et pourtant je ne regarde plus
Avec la même ardeur un monde qui m’a plu.
Je laisse s’écouler aux deux bords de mon âme
Les ailes, les aspects, les effluves, les flammes ;
Je ne répondrai pas à leur frivole appel :
Mon esprit tient captifs des oiseaux éternels.
Je ne regarde plus que la cime croissante
Des arbres, qui toujours s’efforçant vers le ciel,
Détachant leur regard des plaines nourrissantes,
Ecoutent la douceur du soir confidentiel
Et montent lentement vers la lune ancienne…
Je songe au noble éclat des nuits platoniciennes,
À la flotte détruite un soir syracusain,
À Eschyle inhumé à l’ombre des raisins,
À cet entassement de siècles et d’ardeur
Que le soleil toujours, comme un divin voleur,