Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/450

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et je me sens pareille à quelque aigle hardi
Dont le vol palpitant touche des paradis !
Mais je ne puis t’aimer !

— Etincelans atomes,
Jardins voluptueux, confitures d’arômes,
Baisers dissous, coulant dans les airs qui défaillent,
Chaude ivresse en suspens, lumière qui tressaille,
Navires au lointain se détachant du port,
Promettant plus d’espoir que la gloire et que l’or,
Dont le pont clair est comme un pays sans rivage,
Ressemblant au désir, ressemblant au nuage,
Et dont les sifflemens et la sourde vapeur
Dispensent un diffus et sensuel bonheur !…
— O sifflets des vaisseaux, mugissemens languides,
Nostalgiques appels vers les îles torrides,
Douce voix du taureau, plein d’ardeur et d’ennui,
À qui Pasiphaé répondait dans la nuit !…

— Non, je ne puis t’aimer, tu le sens, les dieux mêmes
Sont venus vers mon cœur afin que je les aime ;
Laisse-moi diriger mes pas dansans et surs
Vers mes frères divins qui règnent dans l’azur !
— Mais toi, lorsque le soir répandra de son urne
L’ardeur mélancolique et les cendres nocturnes,
Lorsqu’on verra languir Pair et l’arbre étonnés,
Lorsque tout l’Univers viendra se confiner
Au cercle étroit du cœur ; quand, dans l’ombre qui mouille
On entendra le chant acharné des grenouilles,
Quand tout sera furtif, secret, mystérieux,
O mon ami, rends-moi le soleil de tes yeux !
Plus beaux que la clarté, plus sûrs, plus saisissables,
Nous goûterons ensemble un bonheur misérable.
Tes deux bras s’ouvriront comme des routes d’or
Où mes rêves courront sans halte et sans effort ;
La douce ombre que fait ton menton sur ta gorge
Sera comme un pigeon traversant un champ d’orge ;
Je verrai dans tes yeux profonds et fortunés
Tout ce que l’Univers n’a pas pu me donner :
O grain d’encens par qui l’on goûte l’Arabie !
Étroit sachet humain où je touche et déplie