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aux personnes de mauvaises mœurs et mis le récit de leurs aventures à la portée des gens du monde. On n’a pas oublié le Ruisseau de M. Pierre Wolff, qui fut certainement en ce genre un chef-d’œuvre. Il y était proclamé que, pour faire un joli mariage et trouver une compagne vertueuse, mieux encore que dans les agences, il convient de l’aller chercher dans les restaurans de nuit. La pièce de M. Frondaie est une sorte de réponse attristée à ce plaidoyer ému. Émile Augier, dans le Mariage d’Olympe, avait trouvé cette forte expression : la nostalgie de la boue. Je dirais, si je ne craignais que cela eût l’air d’un jeu de mots, que M. Frondaie, dans Montmartre, a mis à la scène la « nostalgie de la butte. »

Cela se passe au Moulin-Rouge. Dans l’imagination un peu visionnaire de l’auteur, cet établissement prend les proportions et les allures de je ne sais quel monstre apocalyptique. Il s’en explique par la bouche d’un dessinateur génial, habitué de l’endroit et qui tient l’emploi du raisonneur. Cet artiste doublé d’un penseur a maintes fois rêvé d’une composition où l’on verrait les bras rouges du moulin entraîner dans leur mouvement giratoire des hommes tous brillans de jeunesse, de talent et même de génie, et les broyer comme une meule. C’est du symbolisme à la manière des Préfaces de Dumas fils ou des romans naturalistes de Zola. Il nous fait aujourd’hui l’effet de sonner un peu creux, et nous avons cessé d’être épouvantés par ce genre de catastrophes. Nous serions plutôt tentés de dire : tant pis pour les malheureux qui laissent leur santé dans la fête ! et nous ne croyons guère que l’art ni la littérature s’en soient jamais plus mal portés.

Un petit musicien, — qui deviendra grand, — Pierre Maréchal, a rencontré dans le personnel du cabaret montmartrois une fille, Marie-Claire, dont il s’est toqué et qui, de son côté, a pris un béguin pour lui. La jugeant tout à fait différente de ses compagnes, il projette de la tirer de ce déplorable milieu et de se mettre en ménage avec elle, en attendant que l’état de ses finances et les progrès de sa notoriété lui permettent de l’épouser par-devant le maire et le curé.

Maréchal s’est empressé de mettre à exécution ce beau projet : il n’est jamais trop tôt pour faire une sottise. Nous le retrouvons dans un modeste appartement de la rue de Lille où il poursuit ce double rêve : devenir un fameux compositeur et faire de Marie-Claire le modèle des épouses. Y a-t-il entre les deux termes de cette proposition une sorte d’incompatibilité ? À l’instant où Maréchal apprend que son opéra vient d’être reçu, et précisément pour fêter la bonne nouvelle, Marie-Claire est prise d’une folle envie d’aller faire un tour à Montmartre. Elle l’a