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tout souci en Allemagne, rétablirait aisément l’autorité du Pape et en imposerait le respect à ceux qui l’auraient violée en profitant de nos embarras extérieurs. Nous n’eûmes tous qu’à opiner du bonnet.

Cette décision nous attira bien des assauts : de toutes parts, des prêtres, des évêques, des cardinaux, nous apportèrent leurs doléances, quelques-uns leurs colères, d’autres leurs menaces et leurs malédictions. Mackau nous envoya une protestation. C’était un de nos amis les plus sûrs. Son esprit avait autant de charme que sa personne ; il savait plaire à tous sans sacrifier quoi que ce fût de ses convictions ; la noblesse attrayante de ses manières, donnait à ses idées une autorité qu’augmentait encore la mesure judicieuse avec laquelle il les exprimait et, quoique député nouveau venu, il exerçait une sérieuse influence sur la Chambre. Son dissentiment nous fut donc très pénible, mais il ne nous arrêta point, même lorsque Kolb Bernard et Keller se furent unis à lui.

Victor-Emmanuel n’exagérait pas la résistance de ses ministres. Ils se partagèrent en deux groupes. Sella, indépendamment de toutes vues tirées de l’état de l’Italie, était absolument contraire à une alliance à n’importe quelles conditions, parce qu’il était dévoué à la Prusse, et que, s’il ne haïssait pas la France autant que Crispi, il ne l’aimait pas davantage. Il souhaitait le succès de la Prusse ; il y croyait, il craignait en outre que l’alliance n’empêchât l’Italie de profiter des circonstances et de mettre la main sur Rome. L’opposition de Lanza, non moins résolue, tenait à d’autres motifs. Il avait, comme bon Piémontais, conservé contre Napoléon III la rancune de la décapitation de Turin ; cependant il n’avait pas effacé de son cœur tout sentiment de gratitude, mais il jugeait l’Italie hors d’état d’intervenir dans une guerre, en plein désarroi financier, éprouvant de grandes difficultés à pourvoir aux nécessités de la paix et à trouver de l’argent. En outre, les Garibaldiens et Mazziniens organisaient à visage découvert l’invasion du territoire romain ; leurs chefs, en relations avec des agens prussiens, n’auraient manqué ni d’armes ni d’argent, c’était encore une éventualité dispendieuse à laquelle il eût fallu faire face. Visconti-Venosta, Lombard ami de la France, imbu de la tradition cavourienne, esprit remarquablement pondéré, unissait à une intelligente pénétration une sagace prudence : s’il avait été