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pour une alliance immédiate et inconditionnelle, il s’en serait suivi aussitôt une crise ministérielle, car Sella était décidé à se retirer plutôt que de consentir à une alliance contre la Prusse. Mais Visconti, quoique incliné vers la France et désireux de seconder les dispositions de Victor-Emmanuel, n’était pas plus enclin que Sella à l’alliance immédiate. Avant de se prononcer d’une façon tranchée, il attendait de savoir les intentions de l’Autriche, sans le concours de laquelle il jugeait toute action impossible. Il ne partageait pas la manière de voir de Sella et de Lanza, mais il ne lui était pas contraire ; il délibérait et regardait. L’ambassade italienne à Vienne étant vacante, il y envoya Artom, ministre à Carlsruhe, ancien secrétaire de Cavour, esprit délié, au courant de tous les dessous, sans autre mission que d’observer et renseigner.

Aussi dès le premier moment, c’est à Vienne, entre les mains de Beust, qu’est le sort de l’alliance. L’adopte-t-il, Visconti le suivra, le Roi provoquera une crise ministérielle, et le traité sera conclu. La refuse-t-il, Visconti suivra l’opinion de Sella, le Roi restera seul, et l’alliance sera compromise. L’intérêt donc se porte sur ce qui se passe à Vienne.


III

Beust se trouvait aux prises avec de multiples difficultés : tes dispositions prussiennes de la Russie, le mauvais vouloir de la Hongrie, l’apathie de l’Autriche et les complications de ses arrangemens intérieurs, les défiances, enfin, que, protestant, il inspirait lui-même aux catholiques, à cause de la rupture du Concordat, et aux conservateurs à cause de son compromis avec la Hongrie. Il avait deux partis honorables à prendre, celui de l’audace et celui de la loyauté.

Incapable de se hausser au parti de l’audace, il aurait dû nous avouer que nous n’avions à compter que sur son assistance purement diplomatique. Mais il craignit que ce franc parler ne nous détachât de lui, et qu’au lieu d’être associe à notre victoire, qu’il prévoyait comme tout le monde, il n’eût à partager le sort des vaincus. Il préféra adopter un troisième parti, celui de la rouerie : ne rien faire en ayant l’air de faire, nous combler de protestations, en étant sobre d’actes, et bénéficier ainsi de nos succès, sans en partager les fatigues et sans