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magnifique coin du monde. Rien n’est beau, — rien n’était beau, devrions-nous peut-être dire, en nous rappelant le temps où ces remparts existaient encore, — comme cette vieille ville romaine lorsqu’en arrivant du cap, et en descendant vers cette petite crique qu’il a peinte, on la voyait dresser dans le ciel ses tours carrées entre le saphir de la mer et les diamans des Alpes couvertes de neige. Toutes les parcelles colorées étaient traversées de rayons, toutes les ombres étaient pénétrées de lueurs. Au lieu de cela, que voyons-nous : un mobilier de bois verni, soigneusement épousseté, des plantes vertes apportées par le régisseur, des écheveaux de laines violettes, vertes et bleues, disposées de façon à figurer la mer, des chevaux d’acajou, des montagnes de faïence et de porcelaine, partout, une couleur criarde et commune : sur les murs d’enceinte, des ombres sales et « bouchées, » et, sur la plage, un promeneur beaucoup trop polit, s’il est à sa place en perspective aérienne, beaucoup trop sec, s’il est à sa place en perspective linéaire. Les caractères « photogéniques » de Meissonier qui le servaient, dans le 1814, comme des qualités, le trahissent ici, comme des défauts.

Les autres toiles réunies dans cette salle font apparaître sa grande qualité maîtresse qui l’a toujours sauvé aux yeux des artistes : le réalisme saisissant de ses poses. C’était une nouveauté en 1864, même après les batailles quasi réalistes d’Horace Vernet, qu’une scène d’épopée peinte avec ce souci de la vérité. Jamais un peintre de l’école académique n’aurait osé boutonner, comme il le fit, le manteau du maréchal Ney. Chez lui, pas de gestes conventionnels, prévus dessinés « de pratique : » tout est particulier, propre, significatif. Regardez sa Confidence exposée au Salon de 1857, revue, en 1884, et toujours admirée : jamais un imaginatif n’aurait dessiné, de pratique, la main gauche du confident, et placé le petit doigt où il est, ni le pied gauche du confiant dans la flexion qu’il a prise. Le talon a quitté le soulier et le soulier reste posé à terre par le bout, sans suivre le mouvement général de la jambe : ce sont des traits d’observation qui, accumulés, finissent par faire vivre réellement les personnages. La minutie de Meissonier, inutile ou même nuisible quand elle s’applique à des choses dont nous n’avons que faire, comme les boutons d’un habit ou les méandres d’une perruque, nous ravit quand elle fait découvrir à l’artiste quelque chose de nouveau dans le jeu de la machine humaine.