Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/625

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autres capitaines… par mons Martin, je veux aller voir Paris de plus près que je ne l’ai vu. » Or, à la séance du 1er mars, on lui posa les questions suivantes : « Que dites-vous de Notre Saint-Père le Pape, et quel est celui que vous croyez être le vrai Pape ? » — Jehanne : « Est-ce qu’il y en a deux ? » — L’assesseur : « N’avez-vous pas reçu des lettres du comte d’Armagnac qui voulait savoir auquel des trois papes il devait obéir ? » — Jehanne : « Le comte, en effet, m’a écrit certaine lettre à ce sujet ; dans ma réponse, je lui disais que, quand je serais à Paris, ou de loisir en tout autre lieu, je lui ferais réponse ; je me disposais à monter à cheval quand je lui fis cette réponse. » On lut à l’accusée la lettre du comte d’Armagnac et la réponse donnée, et après la lecture, il fut dit à Jehanne : « Avez-vous écrit la réponse dont la copie vient de vous être lue[1] ? » Jehanne : « Je pense avoir fait en partie cette réponse, mais pas dans son entier. » — L’assesseur : « Avez-vous dit que vous sauriez, par le conseil du Roi des Rois, ce que le dit comte devait tenir sur ce point ? » — Jehanne : « Je ne sais rien sur cela. » — L’assesseur : « Est-ce que vous vous doutiez à qui devait obéir le comte susdit ? » — Jehanne : « Pour ce qui est de moi, je tiens et je crois que nous devons obéir au Pape qui est à Rome. » — L’assesseur : « Pourquoi donc, puisque vous croyiez au Pape qui est à-Rome, écriviez-vous au comte que vous lui donneriez conseil ailleurs ? » — « Jehanne : « La réponse donnée par moi portait sur une autre matière que sur le fait des trois papes. » — L’assesseur : « Est-ce sur le fait des trois papes que vous disiez que vous auriez conseil ? » — Jehanne : « Je n’ai jamais écrit ni fait écrire sur le compte des trois papes. J’affirme sous la foi du serment que jamais je n’ai écrit ni fait écrire à ce sujet. »

L’accusateur d’Estivet étaya sur cet incident les articles 27, 28, 29 et 30 de son réquisitoire. Jehanne avait vu le péril et sentant sur quel terrain dangereux on voulait l’engager, ce fut par deux affirmations faites sous la foi du serment qu’elle déclara : « Je n’ai jamais écrit ni fait écrire à ce sujet. »

Cette déclaration solennelle de Jehanne nous apporte, sur le point qui nous occupe, une lumière que l’on ne saurait demander plus éclatante, car Jehanne y précise sans ambiguïté que, si elle

  1. Comment les Anglais ont-ils pu avoir copie de ces lettres ?… Nous voyons là un indice trop certain que, même dans le parti de Charles VII, Jehanne avait des ennemis qui cherchaient à la perdre.