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si j’étais dans le feu, je n’en dirais pas autre chose, et jusqu’à la mort je soutiendrais ce que j’ai dit au procès. » Cauchon demanda au promoteur et à l’accusée s’ils avaient quelque chose à ajouter. Sur leur réponse négative, il conclut que la cause était entendue et lut la formule écrite qu’il tenait en mains et qui se terminait ainsi : « Nous assignons la journée de demain pour entendre la juste sentence que nous prononcerons. »

Quatorze jours auparavant, le 9 mai, Jehanne avait déjà tenu le même langage, et sa décision pleine de fermeté avait produit sur Cauchon une si vive impression qu’il ne lui fit pas appliquer la torture, convaincu que les plus grands tourmens ne pourraient l’ébranler. Cauchon et le vice-inquisiteur s’étaient rendus dans la grosse tour du château, accompagnés de Châtillon, Erard, Loyseleur, Massieu, les greffiers, etc. Les instrumens de torture avaient été préparés et étalés ; les deux appariteurs chargés d’en faire l’application étaient là. Jehanne fut alors amenée. Il lui fut dit que, si elle ne confessait pas la vérité, ces instrumens la lui feraient avouer. Sans se troubler, elle répondit : « Vraiment, si vous deviez me faire disloquer les membres et faire partir l’âme du corps, je ne vous en dirais pas pour cela autre chose ; et si je vous en disais quelque autre chose, après je vous dirais toujours que vous me l’avez fait dire par force. » Et pour attester que son refus venait de Dieu, elle ajouta : « A la dernière fête de Sainte-Croix, j’ai eu confort de saint Gabriel… J’ai demandé conseil à mes voix pour savoir si je me soumettrais à l’Église, parce que les gens d’église me pressaient fort de me soumettre à l’Eglise. Elles m’ont dit que si je voulais que Notre-Seigneur me fût en aide, je m’en attende à lui de tous mes faits… J’ai demandé à mes voix si je serai brûlée, elles m’ont répondu de m’en attendre à Notre-Seigneur, et qu’il m’aidera. »

Aux argumens terrestres, Jehanne apporte la réponse des voix du ciel, et quelle admirable réponse ! Par la calomnie et le mensonge joints à la fourberie la plus éhontée, les ennemis de Jehanne avaient voulu jeter un voile sur les derniers jours de son agonie. Il a fallu que, pendant tant de siècles, ses lettres fussent conservées d’une manière presque miraculeuse pour que le voile fût enfin déchiré d’une manière complète et qu’au nom de la critique historique, on pût enfin glorifier Jehanne dans cette journée de Saint-Ouen.