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lieu d’être accumulés dans les places fortes de l’intérieur, étaient réunis à la frontière même, à Forbach, Lunéville, Sarreguemines, dans des villes ouvertes ; les cartes distribuées aux officiers étaient celles de l’Allemagne parce qu’on ne supposait pas qu’on eût à combattre sur notre territoire. Une dérogation très significative avait été faite aux règles rationnelles du passage du pied de paix au pied de guerre. Rationnellement et en règle habituelle, toute troupe, toute armée, avant d’entrer en action, traverse deux opérations successives : la mobilisation qui consiste dans le passage du pied de paix au pied de guerre, au moyen de la réception des réservistes, des chevaux de complément et du matériel nécessaire, et la concentration qui prend les unités ainsi complétées et les amène sur le théâtre choisi pour les opérations, où elle les groupe. Cette mobilisation et cette concentration, opérées successivement, demandent un temps assez long : au lieu de ne faire commencer la seconde qu’après l’achèvement de la première, Le Bœuf décida qu’elles se feraient toutes les deux en même temps ; au lieu de laisser chacune de nos unités où elle était jusqu’à ce qu’elle fût complétée, il la prit là où elle se trouvait, augmentée seulement des permissionnaires rappelés ; il la jeta à la frontière et fit courir après chacune d’elles les élémens, hommes et matériel, par lesquels elle devait être complétée en son intégralité combattante. Comme nous avions, en état de formation facile à compléter la Garde, les corps d’armée de Paris, de Lyon, du camp de Châlons, cette mesure nous permettait d’agir offensivement avant que les Prussiens, englués dans leur mécanisme compliqué, eussent pu nous arrêter.

Chacun était tellement convaincu qu’on prendrait l’offensive quelque part, que nos généraux la commençaient devant eux de leur propre initiative. Du côté de la Sarre, le général Frossard (19 juillet) demandait l’autorisation d’occuper Sarrebrück, Sarreguemines et Sarrelouis. Du côté du Rhin, le général Ducrot insistait pour s’emparer de Kehl et le transformer en tête de pont fortifiée selon le plan préparé par notre génie. Voyant que, dès le 18 juillet, nous avions en état de marcher le corps de Frossard venu de Châlons, trois brigades de cavalerie, 90 bouches à feu ; que la Garde, l’armée de Paris et de Lyon et les garnisons de l’Est avaient élevé notre effectif disponible, le 23 juillet, à 123 500 hommes, ceux qui avaient le feu sacré de