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LE MYSTÈRE DE L’INDE.

ceraient tôt ou tard à de nouvelles incarnations. Hélas, que de nouveaux adieux en perspective après le revoir céleste, que de nouveaux dispersemens, en quels labyrinthes d’épreuve et de souffrance, — et peut-être, au bout, la séparation éternelle !

Quand Çakia Mouni s’éveilla au matin de la deuxième nuit, des cygnes voyageurs passaient dans le ciel nuageux. Et il fut plus triste encore en retombant de sa vision paradisiaque qu’en sortant du songe infernal. Car il pensait aux destinées futures de toutes ces âmes, à leurs errances sans fin.

La troisième nuit, il s’éleva d’un puissant effort jusqu’au monde des dieux. Allait-il enfin y trouver la paix espérée ? Ce fut un songe inénarrable, un panorama sublime d’une indicible grandeur. Il vit d’abord les Archétypes lumineux, qui brillent au seuil du monde des Dévas, cercles, triangles, étoiles flamboyantes, moules du monde matériel. Ensuite lui apparurent les forces cosmiques, les dieux, qui n’ont point de forme immuable, mais qui travaillent, multiformes, dans les veines du monde. Il vit des roues de feu, des tourbillons de lumière et de ténèbre, des astres qui se changeaient en lions ailés, en aigles gigantesques, en têtes éclatantes irradiant d’un océan de flammes. De ces figures, qui apparaissaient, disparaissaient, se métamorphosaient ou se multipliaient avec la rapidité de l’éclair, s’échappaient en tous sens des courans lumineux, qui se déversaient dans l’univers. Ces fleuves de vie s’en allaient bouillonner au cours des planètes, rejaillir à leur surface et pétrir tous les êtres. Comme le voyant se mêlait à cette vie ardente avec une sorte d’ubiquité, dans un éblouissement d’ivresse, il entendit tout à coup le cri de la douleur humaine monter de l’abîme vers lui, comme une marée grossissante d’appels désespérés. Alors il découvrit une chose qui lui parut terrible. Ce monde inférieur, ce monde de la lutte et de la souffrance, c’étaient les dieux qui l’avaient créé. Bien plus, ils avaient pris conscience d’eux-mêmes, ils avaient grandi avec leur univers ; et maintenant, planant au-dessus de lui, mais inséparables de son essence, ils vivaient de son formidable reflux. Oui, les dieux immortels se vêtaient du feu et de la lumière qui étaient sortis de leur cœur ; mais ce feu était devenu, pour les hommes, la passion, et cette lumière, l’angoisse. Ils se nourrissaient du souffle de l’amour humain qu’ils avaient excité ; ils respiraient le parfum de ses adorations et la fumée de ses tourmentes. Ils buvaient