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Les brahmanes disaient ensuite à leurs disciples : « De même que l’univers est le produit d’une pensée divine qui l’organise et le vivifie sans cesse, de même le corps humain est le produit de l’âme qui le développe à travers l’évolution planétaire et s’en sert comme d’un instrument de travail et de progrès. Les espèces animales n’ont qu’une âme collective, mais l’homme a une âme individuelle, une conscience, un moi, une destinée personnelle, qui lui garantissent sa durée. Après la mort, l’âme, délivrée de sa chrysalide éphémère, vit d’une autre vie, plus vaste, dans la splendeur spirituelle. Elle retourne en quelque sorte à sa patrie, et contemple le monde du côté de la lumière et des dieux, après y avoir travaillé du côté de l’ombre et des hommes. Mais il en est peu d’assez avancées pour demeurer définitivement dans cet état que toutes les religions appellent le ciel. Au bout d’un long espace de temps, proportionné à son effort terrestre, l’âme sent le besoin d’une nouvelle épreuve pour faire un pas de plus. De là une nouvelle incarnation dont les conditions sont déterminées par les qualités acquises dans une vie précédente. Telle la loi du Karma, ou de l’enchaînement causal des vies, conséquence et sanction de la liberté, logique et justice du bonheur et du malheur, raison de l’inégalité des conditions, organisation des destinées individuelles, rythme de l’âme qui veut revenir à sa source divine à travers l’infini. C’est la conception organique de l’immortalité, en harmonie avec les lois du Kosmos.

Survint le Bouddha, âme d’une sensibilité profonde et travaillée par le tourment des causes dernières. En naissant, il semblait accablé déjà du poids de je ne sais combien d’existences et altéré de la paix suprême. La lassitude des Brahmanes, immobilisés dans un monde stagnant, se centupla chez lui d’un sentiment nouveau : une immense pitié pour tous les hommes et le désir de les arracher à la souffrance. Dans un mouvement de générosité sublime, il voulut le salut pour tous. Mais sa sagesse n’égala pas la grandeur de son âme et son courage ne fut pas à la hauteur de sa vision. Une initiation incomplète lui fit voir le monde sous le jour le plus noir. Il n’en voulut comprendre que la douleur et le mal. Ni Dieu, ni l’univers, ni l’âme, ni l’amour, ni la beauté ne trouvèrent grâce devant ses yeux. Il rêva d’engloutir à jamais ces ouvriers d’illusion et ces ouvrières de souffrance dans le gouffre de son Nirvâna. Malgré l’exces-