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celui de l’humanité entière, mais pourtant dissemblable sur quelques points. En effet, toute action morale est la solution d’un problème particulier et concret qui se pose dans des circonstances particulières et qui ne se posera plus jamais dans des circonstances absolument identiques. Il n’y a pas deux cas de conscience indiscernables. Celui de Régulus au moment de revenir à Carthage, celui de César au moment de franchir le Rubicon sont deux situations diverses et susceptibles de dénouemens divers. Résoudre un problème singulier de la conscience, dans un cas qui est toujours singulier et personnel, le résoudre par une direction nouvelle et originale de la vie intérieure, par la réalisation d’un idéal universel sous une forme personnelle, c’est faire une œuvre d’art en même temps que de connaissance intuitive, c’est inventer, innover, créer au sens humain du mot, faire jaillir en soi une valeur nouvelle de la vie. Toute idée qui se réalise en actes est de la pensée vécue, de la vie qui se développe et s’épand sous des formes qu’elle n’avait jamais prises identiquement. C’est au monde de la pensée et de l’action qu’il faut appliquer le mot du poète : novitas florida mundi.


V

Les idées de Guyau et celles de Nietzsche se mêlent chez les partisans les plus récens de la morale de la vie, mais sans qu’on voie comment elles sont ramenées à l’unité.

Un philosophe américain, disciple de Guyau, M. Mac Connell, vient de publier un livre sur le Devoir de l’altruisme[1], où il donne pour but à la morale « la volonté de vivre la vie la plus large possible. » La doctrine de Guyau ne nous semble pas gagner à la substitution d’une formule vague à une formule claire. La vie la plus large ne peut être que « la vie la plus intense et la plus expansive » dont parle Guyau.

En France, c’est la morale de Guyau, plus ou moins altérée, que M. Delvolvé a soutenue, bien qu’il ne le nomme pas. Mais dire, avec M. Delvolvé, que la vie est « une fin qui se réalise, » ce n’est pas nous dire quelle est cette fin qui se réalise dans et par la vie. — C’est, répond M. Delvolvé, « une tâche

  1. The Duty of altruism. New-York. Macmillan, 1910.