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morale. La « vie » nous paraît un principe trop indéterminé, réductible, par un côté, à un mécanisme, par un autre côté, à des faits de conscience ou de subconscience plus ou moins élémentaires, à des sentimens, à des représentations ou perceptions, à des appétitions. L’idée de vie, au lieu de nous sembler primitive, comme à Guyau et à M. Bergson, nous paraît dérivée. Elle est un extrait et un abstrait du psychique ; dès qu’on veut la définir, elle se résout en élémens psychiques sous-jacens aux élémens mécaniques. En tout cas, la morale de la vie, comme celle de la puissance, n’a de valeur que par la morale de l’idée, dont elle enveloppe le germe. La morale commence avec ce qui règle et ordonne la vie en l’ouvrant à autrui, en la faisant vivre pour les autres comme pour soi ; or, le seul moyen d’ouverture, c’est l’idée ; la moralité est donc, avant tout, un état ou un acte de la conscience.


VII

C’est à la morale individualiste que se rattache une dernière doctrine récemment proposée, celle de l’honneur. Selon M. Emile Faguet, l’honneur est un sentiment qui, sans « envisager l’utilité sociale, » quoique ne la méprisant pas, mais ne s’y arrêtant point, » nous persuade que nous sommes « les esclaves de notre dignité, de notre noblesse, de ce qui nous distingue d’êtres jugés par nous inférieurs à nous ; et qui nous assure fermement « qu’à cette dignité, à cette noblesse, qu’au soin de ne pas déchoir nous devons sacrifier tout, même la vie[1]. » — Mais quelle est cette noblesse, quelle est cette dignité que nous voulons maintenir et que nous préférons à la vie même ? Quel est ce moi supérieur que nous voulons élever au-dessus du moi inférieur ? Autant de problèmes non résolus par ce terme si large et si imprécis : l’honneur.

Les barbares Germains, ces bêtes de proie chères à Nietzsche, mettaient leur honneur à tuer et à piller. Les nobles castillans et même les mendians de Castille mettaient leur honneur à ne rien faire : le travail leur paraissait contraire à leur dignité de conquistadores ou simplement de mendians espagnols. L’honneur d’un mari trompé consiste encore aujourd’hui, pour

  1. La Démission de la morale, p. 303.