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nécessairement le singulier : je suis, en un pluriel : nous sommes. L’être conscient aboutit donc, par la nature même de la pensée, à la représentation d’autres êtres consciens qui forment avec lui une société immédiate. Cogito, eryo sumus. Le point de vue social i et même universel est ainsi inséparable du point de vue individuel. L’éducation morale consiste, selon nous, à prendre conscience d’autrui comme de nous-mêmes ; et la formule de la vie morale est la suivante : Sois intégralement conscient et universellement conscient. Notre aspiration à l’intégralité et à l’universalité de la conscience s’exprime par des idées de plus en plus larges, sur lesquelles doit insister tout éducateur : celle de la dignité personnelle, dont Nietzsche, au fond, était grisé, celle de la famille, de la patrie, de l’humanité, de l’univers. Ce sont ces idées qui doivent devenir les forces directrices de nos actes. Elles ont d’autant plus de valeur morale qu’elles réconcilient davantage en elles-mêmes, par leur compréhension et leur extension croissantes, le point de vue individuel et le point de vue social[1].

Tout comme la société humaine suppose la personne individuelle, qui est son élément ; elle suppose aussi l’universel, qui est sa fin. Si la vérité, si la bonté mêmes n’avaient, comme le croient les sociologues purs avec les socialistes, qu’une valeur purement sociale, ou, comme le croient les anarchistes, qu’une valeur purement individuelle, elles ne donneraient pas une pleine satisfaction à notre pensée, qui poursuit l’universel et ne se repose que dans ce qui a une valeur pour tous les temps, pour tous les lieux, pour tous les êtres. Faire usage de notre pensée, c’est prendre conscience, dans notre personnalité même, de notre réelle universalité ; c’est vivre à la fois la vie la plus individuelle et la plus sociale.

S’il en est ainsi, la vraie morale domine à la fois les libertaires et les autoritaires, les adorateurs de la puissance sans règle et ceux de la règle ou de la loi.

Elle domine également la religion de l’honneur. « L’homme est un suranimal, dit fort bien M. Faguet, et se sent tenu d’être au moins un suranimal. Par quoi ? Non point par la raison ; il sait bien que les animaux en ont et il faut être philosophe pour en douter. » — Tout dépend, répondrons-nous, de ce que vous, entendez par raison ; le philosophe ne doute point que

  1. Qu’on nous permette, pour les détails, de renvoyer à la Morale des idées-forces.