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mouvemens était aussitôt connu de Moltke ; le Standard publiait la composition de notre armée, l’indication des régimens, le nom des généraux, l’emplacement de tous les corps sur la frontière.

Le soldat, dont aucune considération personnelle ne troublait le bon sens, qui n’attendait pas des services de table, qui n’avait pas de femme, de Catherine ou de nourrice à ses côtés, s’étonnait de l’engourdissement dans lequel on le laissait. Il ne se plaignait pas de manquer de tout, puisqu’il ne manquait de rien, mais il disait : « Puisque nous ne manquons de rien, pourquoi nous abrutit-on en nous tenant l’arme au pied ? » Pour leur faire prendre patience, on avait imaginé de leur distribuer de petites brochures sur la tactique et sur les avantages de notre fusil, comme s’ils étaient dans un camp d’instruction ! Ils ne lisaient guère les brochures, et ils avaient pris le parti de se mettre à leur aise et, quand on ne les faisait pas circuler, de passer leurs journées couchés sur le dos. Les grenadiers de la Garde demandèrent de quitter leurs bonnets à poil et de se contenter du bonnet de police : on le leur accorda. Alors les voltigeurs sollicitèrent de se débarrasser de leur schako. Et comme ils n’étaient plus protégés contre le soleil, ils arrangeaient sur leur tête des mouchoirs fixés à des petits morceaux de bois.


VI

L’Empereur ne trouvait pas autour de lui dans ses officiers l’élan convaincu qui aurait pu le réveiller de sa torpeur. « Je remarque, écrit Anger dans son carnet, qu’il y a peu d’hommes capables de rendre des services dans la suite de l’Empereur. Les officiers d’ordonnance sont des jeunes gens la plupart de bonne famille, inconsciens et bons garçons. Un seul travaille (Pierron) et pourra rendre des services. Le général de Béville est une bonne vieille croûte qui critique tout, bâtit l’histoire à sa fantaisie, redoute beaucoup les Prussiens. L’Empereur ne se laisse pas aborder franchement, c’est plutôt une Cour qu’un quartier général. »

Deux fois, dans sa voiture de parc, et non à cheval, le pauvre souverain alla visiter les bivouacs. Son visage morne étouffait les acclamations qui s’élançaient vers lui. Comme s’il eût