Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/815

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son intelligence…, dès lors beaucoup plus préoccupé d’analyse que de style, et de psychologie que d’esthétique, » il « s’étiolait[1]. » Il écrivait cependant ; il écrivait des articles de critique, quelques nouvelles ; il écrivait, ou du moins il publiait surtout des vers. C’est comme poète que M. Paul Bourget s’est d’abord fait connaître en librairie.

Ce n’est pas un très grand poète que celui qui a signé les trois recueils intitulés la Vie inquiète (1875), Edel (1878), les Aveux (1882), — et Dieu veuille, quand elles paraîtront, que les Nostalgiques nous démentent[2] ! — Mais c’est un lin, subtil et joli poète. Il a le souffle un peu court, et son inspiration ne laisse pas d’être parfois quelque peu laborieuse. Mais les vers de vrai poète jaillissent souvent de sa plume :

Nul n’adora peut-être avec plus d’espérance
L’âme de notre obscur et mystique univers[3]
Sous les rosiers, au bord des flots calmes et bleus
Dont le bruit apaisé semble un chant merveilleux,
A l’heure où le grand soleil tombe[4]
O nuit, ô douce nuit d’été qui viens à nous,
Parmi les foins coupés et sous la lune rose[5]

Il y a de plus dans ces deux volumes nombre de pièces qui, de toute éternité, semblent destinées à figurer dans les anthologies : Sur la Falaise :

Les papillons bleus, les papillons blancs
Sur les prés mouillés et les blés tremblans
Vont battant des ailes.
C’est sous le soleil un frémissement
Qui fait s’incliner les fleurs doucement
Sur leurs tiges frêles[6].


ou encore, dans Edel, cette charmante nouvelle en vers qui est peut-être l’œuvre la plus originale de M. Bourget poète, la délicieuse élégie qui commence par :

  1. L’Echéance (Drames de famille, p. 8, 13).
  2. Quelques pièces des Nostalgiques ont paru dans la Revue du 15 décembre 1894. — D’autres pièces, des sonnets tirés sans doute aussi du même recueil, ont été publiées dans la Nouvelle Revue du 15 février 1887.
  3. Poésies (1872-1876), Lemerre, éd. actuelle : Remords dans l’avenir, p. 24. — L’édition originale (la Vie inquiète, etc., Lemerre, 1875, in-16, p. 31) porte : « Nul n’étreignit peut-être… »
  4. Id., ibid. George Ancelys, p. 192.
  5. Poésies (1876-1882), Nuit d’été, p. 226.
  6. Poésies (1872-1876), éd. actuelle, p. 9.