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c’est le principal affluent du Fleuve Jaune dans son cours supérieur, et tous le considèrent comme en étant la deuxième source, ainsi que l’indique le nom même que lui donnent les Chinois : Second Fleuve Jaune, — Eul-tao Houang-ho ; — les Tibétains l’appellent Maitcheu, et nomment Matcheu ou Matchi le grand fleuve.

Nous n’avons plus maintenant qu’à descendre son cours. Quelques broussailles, pleines de lièvres et de faisans reparaissent sur ses bords, le temps s’améliore, l’herbe se montre, des antilopes, toujours hors de portée, nous narguent avec grâce, la vallée s’élargit, un je ne sais quoi de moins âprement farouche fait pressentir l’approche de l’homme ; enfin nous apercevons des troupeaux. Il était temps. Ces huit jours de marche presque constamment dans la neige, de nourriture insuffisante, de nuits terriblement froides ont épuisé nos chevaux : déjà l’un d’eux tombe pour ne plus se relever, et bien d’autres vont l’imiter.

Le chef de Pan-Yu vient à notre rencontre suivi de plusieurs cavaliers en armes. C’est un homme de trente-cinq ans environ, aux traits assez fins. Il porte une capote en peaux de mouton cousues le poil en dedans, bordée d’un col de peau de panthère ; avec cela des bottes, et c’est tout.

Tel est le costume de tous les Nomades ; ils sont entièrement nus, par cette température polaire, dans leur capote qu’ils relèvent jusqu’aux genoux au moyen d’une ceinture, sans souci du froid montant de la terre gelée. Et cependant ils ont encore trop chaud : ils rejettent la manche droite, parfois aussi la gauche, et vont presque constamment le torse nu, tout au moins le côté droit. Quelle rude race !

Cependant j’oublie un trait de leur vêture, trait essentiel, car c’est lui qui leur conserve la chaleur indispensable : ne se lavant jamais, ils sont recouverts d’une épaisse tunique de crasse accumulée depuis leur naissance. Leur peau, qui devrait être blanche et rose, — ainsi qu’elle se montre, quand ils ôtent leurs bottes, à leurs pieds et à leurs jambes, lavés de temps à autre par les ruisseaux qu’ils traversent, — apparaît d’un brun presque noir. Certes le soleil, assez chaud en été, y est pour quelque chose, le vent glacé pour bien davantage, car rien ne hâle plus fortement, mais ce teint de Nigritien provient surtout d’une couche de corpuscules solidement incrustés.

N’allez pas croire cependant, sur la foi d’auteurs qui n’ont