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CHEZ LES NOMADES DU TIBET.

sa révérence et disparaît avec ses gens aux grandes allures de son cheval.

Nous voilà sur la rive occupée par le parti Samsa et, tout près du point où on nous l’a signalé. Comble de malchance, nous ne pouvons suivre la berge et nous tenir à distance des montagnes qui se sont beaucoup rapprochées : toute cette rive n’est qu’un vaste marécage. Il nous faut donc atteindre le pied des hauteurs où justement doivent être cachés nos ennemis. Nous trouvons heureusement pour camper un asile idéal : une petite presqu’île dans un marais, avec un isthme étroit facile à défendre.

Nous avons bien fait de nous mettre à l’abri derrière le fleuve. Durant la nuit s’élèvent de tous les points de la plaine des aboiemens incessans, qui témoignent d’une agitation insolite : sans doute, les guerriers se concertent pour nous attaquer. Nous sommes à l’abri d’une surprise dans notre presqu’île, mais gare à demain !

Dès l’aube, nous levons le camp et nous éloignons en hâte. Entre la base des montagnes et les marécages, il y a juste la place de la piste, et l’ennemi, qui le sait, a toute facilité pour nous attendre à l’endroit propice. Aussi procédons-nous avec la plus extrême prudence, protégés par des patrouilles en tête, en queue et sur le flanc droit ; à gauche, la vue s’étendant à l’infini sur les marais. À chaque coude de la sente qui contourne un éperon de la montagne, nous attendons que nos éclaireurs, grimpés en rampant sur la crête, nous aient signalé que la voie est libre. Et puisque notre fortune nous offre l’occasion de voir des soldats chinois en action de guerre, il faut le reconnaître, ils manœuvrent à merveille, utilisant au mieux le terrain sans être vus, et il est impossible de désirer un service de sûreté en marche mieux exécuté, sans qu’il soit besoin de leur rien dire. Et, une fois de plus, j’admire l’étrange aveuglement de ceux qui refusent au Chinois toute vertu guerrière.

Ces précautions ne sont pas de trop ! Tout à coup nos éclaireurs de tête font signe d’arrêter ; l’un d’eux revient au galop nous annoncer que deux cents cavaliers de Samsa sont là, embusqués dans un ravin devant lequel il nous faut passer.

Désagréable situation ! Forcer le passage avec nos quatorze fusils, il n’y faut guère songer ; reculer, encore moins, car