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saient échappés des pages de Gustave Aymard et de Fenimore Cooper.

Pendant ce temps, le camp a achevé son installation. C’est une ville, avec ses rues et ses places. La caravane est divisée en trente groupes dont la place respective est toujours observée. Chacun forme un quartier, composé d’un certain nombre de tentes ; aux angles, un bastion est construit avec des charges de peaux empilées les unes sur les autres de manière à constituer un rempart rectangulaire : un poste y veillera toute la nuit, secondé par une escouade de ces terribles molosses qui ne laissent même pas approcher les voisins. D’ailleurs, plusieurs patrouilles ont occupé au loin les passages dangereux, et avant l’aube un escadron repartira pour se tenir prêt à recevoir l’ennemi, si, à la faveur de l’obscurité, il a réussi à s’approcher.

Toute la nuit, assis sur des ballots de peaux, dans l’âcre fumée qu’exhalent les feux qui brûlent sous chaque tente, nous devisons avec les rudes coureurs d’aventures. Brèves sont leurs paroles, mais combien chaque détail est évocateur ! En raison du conflit avec les gens de Samsa, la plupart des riches négocians de Song-Pan-T’ing ont reculé devant la crainte du pillage, et la caravane ne comprend que deux cent cinquante cavaliers et quinze cents bêtes, au lieu du double qu’elle a d’habitude. À l’aller, bien qu’elle n’ait fait que longer le territoire de Samsa, un parti de cavaliers est venu réclamer un tribut exorbitant : il y a eu bataille. La caravane a réussi à passer, tuant une dizaine d’hommes à l’ennemi et en perdant autant ; mais, pour revenir, elle a fait un grand détour, afin d’éviter ce territoire, et c’est ce qui nous a valu sa rencontre, car ce n’est pas sa route habituelle. Assurément, c’est contre elle qu’est dirigée l’embuscade dans laquelle nous avons failli tomber : en fait, c’est nous qui la sauvons en la prévenant.

La caravane se met en marche au petit jour. C’est merveille de voir avec quelle rapidité cette ville et ces remparts ont été démolis et chargés sur les yaks. Mais pourquoi la colonne prend-elle une direction presque opposée à celle qu’elle devait suivre ? C’est qu’elle ne tient aucunement à affronter le combat, surtout dans les fâcheuses conditions où nous nous trouvions hier, resserrée en une file immense et sans force, entre les marais et montagne propice aux surprises. Risquer le combat pour conquérir des trésors, à merveille ! mais fuir pour les conserver,