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ouvertes sur la frontière. Au lieu d’adopter un plan unique, on s’en tenait aux plans à plusieurs fins qui sont impropres à toutes les fins. Croyant ainsi se prémunir contre les diverses éventualités, on ne se mettait en garde contre aucune ; espérant tout refuser au hasard, on lui livrait tout. Nous avons été surpris, a-t-on dit, en état de formation… Dites : en état d’ahurissement. Le lieutenant-colonel Maistre, dans son étude sur Spickeren, a décrit remarquablement cette situation. « Au grand quartier général français, les esprits sont en désarroi, le commandement n’arrivera pas à se ressaisir. Faute d’une bonne doctrine de guerre, il ne comprendra pas les conditions de la défense stratégique à laquelle il se trouve réduit. Faute d’un service de renseignemens organisé à l’avance, faute de savoir utiliser la cavalerie, gardée dans les lignes ou en arrière, il va être à la merci de nouvelles douteuses qui signalent l’ennemi en force partout. À la fois, ou tour à tour, on se croira menacé dans les directions de Trêves, de Sarrelouis, de Sarrebrück, de Sarreguemines ou de Bitche. On voudra se garder partout et on se dispersera. L’idée de l’économie des forces, l’idée de manœuvre, l’idée d’avant-gardes jetées dans les directions dangereuses pour reconnaître l’ennemi, le contenir et permettre au gros établi en arrière de se porter au point où l’attaque se présente en forces, sont absentes. Tous les échelons de la hiérarchie apparaissent comme frappés d’inertie. Au lieu d’organes doués d’une vie propre, agissant ou réagissant d’eux-mêmes sous l’impulsion venue d’en haut, on n’a que des instrumens passifs. »

On a expliqué notre incompréhensible inertie en prétendant que si nous n’avions pas bougé, c’est que nous étions hors d’état de le faire : on manquait de tentes-abris, d’ustensiles de campement, etc. ; que les réservistes n’étaient pas arrivés. Les tentes-abris manquaient ? N’y en eût-il eu aucune, cela eût mieux valu, car elles ajoutaient un poids écrasant sur les épaules de nos soldats déjà trop chargés, et à défaut de ces tentes-abris on les eût cantonnés, et ils s’en seraient félicités. Certes, il y avait encore des réservistes qui n’avaient pas rejoint, mais ils étaient de moins en moins nombreux, et ceux qui n’étaient point arrivés (à peine 10 000 sur 170 000) étaient en nombre moindre de beaucoup que ceux qui avaient pris vaillamment leur place dans le rang. Un historien a osé écrire : « La pénurie était générale. » C’est une monstruosité. Ce qui était général, c’était