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C’est lui qui met des soirs sans tache et sans limites
Au lieu des soirs d’été troubles, lourds et fumans,
Et qui serre le froid sur les reins des ermites
Comme un cilice en diamans.

Il chasse les passans comme des feuilles mortes,
Il étreint les clochers qui semblent se raidir
Et voit, lorsqu’il a fait clore toutes les portes,
La solitude resplendir.

— Mais le soir, maintenant, aigrit l’immense espace,
L’air est strident et pur sur le monde inquiet,
Et juché sur son roc un village rapace
Semble un aigle qui fait le guet.

La musique du vent devient ténue et vaine ;
Lourdement, vers la vigne et les lointains sillons,
Dans un ciel susceptible aux couleurs de verveine,
Descend le soleil sans rayons.

Mais ronde et froide, en face, au-dessus des monts pâles,
La lune est apparue et monte en s’allégeant ;
Et le soir tout à coup saisit ces deux cymbales,
L’une d’or et l’autre d’argent ;

Et tandis que vers lui tout le pays s’exhausse.
Il les oppose, brusque, en des cieux presque verts,
Et tirant de ce heurt sa note à peine fausse,
Jette en extase l’univers !


ABEL BONNARD.