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au dernier moment, quand Alix, d’une main longtemps hésitante, va consommer enfin cette espèce de suicide idéal, un éclair jaillit, dont elle meurt. Le voile qui de nouveau cachait honnêtement la statue tombe encore, découvrant cette fois (miracle n° 2), sainte Agnès apaisée et clémente.

Que si maintenant les faits ne vous suffisent point et que vous en cherchiez la leçon ou l’âme, peut-être sentirez-vous en cette histoire un vague scepticisme à l’endroit de l’ordre surnaturel, il ne serait même pas tout à fait impossible de trouver ici, vaguement indiquée et symbolique, l’antithèse, ou le conflit entre l’art et la religion, entre les principes de celle-ci et les droits ou la liberté de celui-là. Mais, après tout, je n’oserais point assurer, pas même insinuer que dans la trame de ces événemens l’une et l’autre, ou seulement l’une ou l’autre de ces deux idées générales, soit enveloppée. Et cela n’a d’ailleurs aucune espèce d’importance.

La musique importe davantage, et même, plus je vais, plus il me semble qu’elle importe seule dans un opéra. Mozart était de cette opinion. Wagner pensait à peu près le contraire. Appliquant des théories opposées, tous les deux ont écrit des opéras admirables. C’est très consolant. Un point cependant paraît admis, ou fixé. La fameuse maxime, d’un idéalisme transcendantal : « Rien n’est aussi méprisable qu’un fait, » est vraie surtout en musique ou pour la musique. Les faits ne sont pas le fait de la musique. Ce n’est pas d’eux qu’elle vit ; elle peut même en mourir : trop nombreux, trop pressés et tout extérieurs, ils l’étouffent ou l’écrasent. Elle d’une part, eux de l’autre, ne participent pas du même ordre et comme de la même catégorie de l’esprit. Le défaut de nos poèmes d’opéra, — je parle de ceux de notre opéra, de notre « grand opéra » du XIXe siècle, — leur défaut, ou plutôt leur excès, consista justement dans la trop grande place qu’y occupèrent les événemens. Tel est, encore aujourd’hui, pour la musique, le danger d’un « poème » comme celui du Miracle. Elle n’y a pas succombé, mais elle y a laissé, perdu beaucoup. Dans la partition de M. Hue, les actes les plus chargés d’incidens et de péripéties « dramatiques » sont, musicalement, les plus vides. On ne saurait assez recommander à la musique de prendre pour devise le mot célèbre : « Tôt ou tard, on ne jouit que des âmes, » cela d’ailleurs ne devant point empêcher les âmes de se souvenir, volontiers au besoin, qu’elles sont unies à des corps et de nous intéresser, le plus vivement possible, à la nature, au régime et aux effets de cette union. Jusqu’où peut aller notre intérêt en cette matière, c’est ce qu’ont