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M. Massenet a mis de la musique. Oh ! pas beaucoup. Il n’en a pas mis au dedans, au fond, au cœur, excepté pendant un moment, le dernier.

Quant aux librettistes, feu Le Lorrain et le très vivant M. Henri Cain, ils ont pris avec le chef-d’œuvre les Libertés qui sont d’usage dans les rencontres lyrico-littéraires. La plus insigne, et qui parut à certains ingénieuse et piquante, consiste dans la transformation du principal personnage féminin. Dulcinée, de fille de ferme, est devenue fille de joie ; ou plutôt, car le mot est trop fort, on a fait de la grosse fille une fille légère, pimpante et fringante, coquetante et caquetante, vocalisante, guitarisante et dansante à propos de tout et de rien, en deux mots une agaçante poupée, qu’environne, au lieu de basse-cour, une cour, un peu plus relevée, mais cent fois déjà vue, de jeunes freluquets. La musique elle-même ne pouvait que perdre à cette transposition arbitraire autant qu’artificielle. Elle eût tiré meilleur parti d’une rusticité robuste, haute en couleur, que d’une mièvre et pâle galanterie. Et ce changement d’ « objet, » atténuant le contraste, a rendu moins comique, mais non plus noble, ni plus touchante, l’illusion d’amour du pauvre chevalier.

On a ramassé en cinq petits tableaux, en cinq « illustrations » ou vignettes, tant d’aventures, et si grandes. La mission du héros a été réduite à la recherche, par ordre d’une coquette d’opéra-comique (et encore ! ), puis à la reprise sur des brigands du même genre, enfin à la remise entre les mains de la demoiselle, d’un collier de perles qui lui avait été dérobé. Pour prix de cet exploit, Don Quichotte avait espéré le cœur et l’hymen de sa princesse ; il n’obtient d’elle qu’un baiser, avec le refus, d’ailleurs motivé loyalement et vaguement ému, d’être à lui : dont il meurt. Nous avons, il est vrai, la scène des moulins à vent : la représentation matérielle en est même curieuse. Mais la scène des brigands n’est qu’une faible contrefaçon de l’admirable (et déjà combien tolstoïsant ! ) épisode des galériens dans le récit de Cervantès. Et puis et surtout la Dulcinée nouvelle manière gâte, fausse le caractère et le sentiment de l’ouvrage entier.

Quelqu’un a dit autrefois de M. Massenet qu’il fait tout ce qu’il veut, mais qu’il ne veut pas toujours, au moins assez fortement, ce qu’il fait. Don Quichotte nous paraît être un de ses ouvrages où sa « facture » est supérieure à sa volonté. Aussi bien il n’a peut-être ici voulu que se divertir, et, d’une main comme toujours habile et plus que jamais légère, au crayon, pour appuyer moins fort, tracer quelques notes « en marge » d’un chef-d’œuvre. Notes justes, notes