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funeste, une aimable sensation de plein air de printemps et d’oiseaux chanteurs. Que le bon Sancho, dessellant haridelle et grison, les nomme « ses petits agneaux, » en une seconde et pour une demi-minute, voici l’orchestre qui se change en bergerie, où les sonnailles tintent…

N’allons pas plus avant. Oublions Don Quichotte amoureux et la mélancolique, la triste sérénade, qui revient tant de fois et chaque fois paraît plus inférieure au personnage, moins digne de le représenter. Laissons Don Quichotte prêcheur : son homélie aux brigands, malgré les accens de l’orgue, assez inattendus en pleine sierra, ne respire guère, au lieu d’une charité sublime, qu’une philanthropie ronronnante, où se mêle une fade religiosité. Mais saluons Don Quichotte mourant. Il fait une mort discrète et touchante. Un tendre violoncelle l’assiste, à ses derniers momens, d’une aimable cantilène. M. Massenet, le Massenet des Erinnyes et de la libation d’Electre, peut ici reconnaître un écho de ses jeunes pensées, qui n’étaient pas les moins nobles et les moins pures. Et le musicien de la scène finale de Manon se retrouve en ce dernier acte aussi. Que peu de chose suffit à nous le rendre ! Lorsqu’il le veut bien, comme il a besoin de peu de musique pour nous charmer et nous émouvoir ! C’est assez, quand le rideau se lève, d’un accord descendant, par notes égales et lentes ; c’est assez de la simple, et pastorale, et paysanne complainte de Sancho. Partout, et cela fait le prix d’une telle scène, partout règne une sorte de clair-obscur sonore, où la voix et l’orchestre cheminent, comme à petits pas, sans bruit, sans écarts, l’un près de l’autre, tout près, ne traçant que des lignes à peine infléchies, ne passant d’une note, ou d’un ton, qu’au ton, à la note prochaine. On donnerait le reste de la partition pour ces quelques minutes de recueillement et d’intériorité. Mais ceci ne rachètera pas cela et parmi les œuvres de M. Massenet il est probable que Don Quichotte restera l’une des plus petites.

Le principal interprète a trouvé moyen d’y faire grande figure. Il est possible d’avoir plus de voix que M. Marcoux, mais non plus d’intelligence et de sensibilité. M. Fugère est supérieur à son rôle, Mlle Arbell est égale au sien. Quand « la belle Dulcinée » paraît à son balcon, pour l’accabler ainsi d’œillets et de roses, la jeunesse d’Espagne a-t-elle donc oublié le proverbe oriental, qui défend de frapper une femme, même avec une fleur !


L’Ancêtre, de M. Saint-Saëns, comme le Don Quichotte de M. Massenet, appartient au répertoire monégasque, c’est-à-dire à la série des