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Les volontaires vont avoir à se mettre en route, tout à l’heure, pour se réunir à l’armée de l’archiduc Charles ; et nous assistons à une suite de rencontres, d’adieux, de discussions politiques et sentimentales, qui achèvent de donner à tout ce prologue de la pièce de M. Schnitzler la portée d’une évocation historique infiniment attrayante. Mais pendant que Médard recommande à l’un de ses amis, boiteux et forcément retenu à Vienne, de veiller sur les relations de sa sœur avec François de Valois, on amène dans le cabaret les cadavres d’un jeune couple qui vient de se noyer : et Médard reconnaît sa chère Agathe et le prince français. Un autre de ses amis, précisément, s’est plaint de ne pouvoir pas être admis dans leur troupe, déjà trop nombreuse : Médard obtient de lui qu’il parte à sa place, tandis que lui-même restera à Vienne et se consacrera avant tout à venger la mort de sa sœur, victime de l’orgueil impitoyable du vieux duc de Valois et de toute sa maison.


Ainsi se termine un « prologue » dont la représentation ne doit pas durer moins de trois quarts d’heure, et qui, malgré cette longueur démesurée, forme à peine la sixième partie du grand drame nouveau de-M. Schnitzler. Jamais peut-être, depuis le temps lointain du drame et de l’opéra romantiques, pareil effort de patience n’a été exigé d’un public allemand ; et il n’y a pas jusqu’au Cromwell de Victor Hugo, ou encore à la version primitive du Vieil Homme de M. de Porto-Riche, qui ne nous fassent l’effet d’être des œuvres de dimensions moyennes en comparaison des 300 pages tassées de cette « histoire dramatique en cinq actes précédés d’un prologue. » C’est dire qu’il a fallu à l’auteur du Jeune Médard une remarquable possession de tous les artifices du métier dramatique pour assurer à une telle entreprise le succès qu’elle obtient, chaque soir, sur la scène viennoise. Variété des situations et mouvement de l’action, alternatives incessantes de conversations familières, d’élans poétiques, et d’amples et bruyans déploiemens de foules, tout cela est ménagé avec infiniment d’intelligence et d’adresse : sans compter que, dans chacun des tableaux, l’intérêt documentaire des graves événemens qui se déroulent sous nos yeux se renforce pour nous d’une émotion plus directe, produite au moyen de l’un de ces « coups de théâtre » qui nous révèlent, en M. Schnitzler, un digne élève de notre grande école de mélodrame française. L’influence de Victorien Sardou, notamment, se trahit dans l’habileté avec laquelle le dramaturge allemand réussit à animer et à colorer ce qu’on pourrait appeler la « figuration » de sa pièce, entourant ses