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boutiquier en une sorte d’Hamlet, qui s’en va promenant ses rêves parmi les alarmes, les angoisses, les vaines résistances patriotiques de ses anciens amis. Mais elle, la mystérieuse Hélène qui tantôt le repousse et tantôt recommence à l’attirer près de soi, nous avons beaucoup de peine à deviner les motifs de l’étrange affection qu’elle lui témoigne. Tout au plus pouvons-nous supposer que, l’ayant d’abord accueilli par un simple caprice de sa perversité native, — ou peut-être nationale, car peu s’en faut que l’auteur ne nous montre en elle une incarnation symbolique de la grande dame française, — elle imagine ensuite de se servir de lui comme d’un instrument pour la réalisation d’une autre fantaisie qui s’est emparée d’elle.

Le fait est que, dans l’intervalle, Napoléon est entré à Vienne ; et bien que la jeune marquise de Valois soit obligée d’avouer à sa confidente qu’elle s’est prise d’amour pour l’empereur victorieux, nous ne l’entendons pas moins promettre à Médard la continuation de ses faveurs s’il réussit à lui aplanir l’accès du trône de France, en tuant Napoléon d’un coup de poignard. Le jeune homme, il est vrai, se refuse avec indignation à lui rendre un service tel que celui-là. Mais voici que, dès l’acte suivant, nous le trouvons à Schœnbrunn, guettant le passage de l’empereur avec un poignard caché sous son manteau ; et si, en fin de compte, son poignard frappe Hélène elle-même au lieu de Napoléon, c’est seulement parce qu’il a découvert que sa bien-aimée est devenue la maîtresse du tyran. Impossible de savoir, avec cela, si ce projet de tuer Napoléon lui a été inspiré par l’amour d’Hélène ou par celui de sa patrie : car encore qu’il ait, lui aussi, un « confident, » à la manière des tragédies classiques, il néglige tout à fait de nous renseigner par cette voie sur ses intentions véritables. Condamné à mort, il apprend du général Rapp que l’empereur lui accorde sa grâce, la police ayant constaté qu’Hélène, sa victime, avait formé le dessein de tuer de sa propre main l’usurpateur qu’elle aimait : mais non, Médard ne veut pas avoir d’obligation à un homme qui a causé le malheur de l’Autriche ! Et le voilà qui force les soldats français à l’exécuter, et le général Rapp, aux dernières lignes du drame, console sa mère en le proclamant un « héros : » mais toujours nous ignorons ce que ce singulier héros avait dans le cœur. Le mystère qui, de tout temps, enveloppait pour nous la figure d’Hélène de Valois s’est communiqué peu à peu à la figure de ce pauvre petit Hamlet d’arrière-boutique, détourné de sa destination naturelle par le déplorable hasard qui lui a permis de tenir dans ses bras une princesse authentiquement issue du sang des rois de France !