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ces jours-ci, prouver éloquemment à ses compatriotes que le plus célèbre de leurs auteurs dramatiques n’avait rien perdu de l’ardeur passionnée avec laquelle, depuis plus de vingt ans, il s’était efforcé de leur imposer le triomphe de son rêve ambitieux de liberté et de beauté dramatiques. Tout au plus M. Hauptmann semble-t-il avoir désormais renoncé à introduire, au milieu des sujets les plus « réalistes, » ces vagues symboles vaguement « ibséniens » dont l’obscurité ne laissait point de rendre parfois très difficile aux spectateurs l’intelligence de l’intrigue et des caractères, dans des œuvres comme le Pauvre Henri ou Et Pippa danse ! Ou plutôt, ne pouvant se résigner encore à abandonner tout à fait ce fâcheux symbolisme, il s’est borné maintenant à le faire intervenir dans le titre de sa pièce : car celle-ci ne nous montre, en vérité, de « rats » d’aucune sorte, mais bien des personnages directement empruntés à la vie berlinoise de notre temps, sans l’ombre d’une signification qui dépasse la parfaite justesse individuelle de leurs actes et de leurs paroles. Pourquoi il a plu à l’auteur de les comparer à des rats, je doute qu’un seul de ses admirateurs soit en état de nous l’expliquer ; mais aussi ces créatures humaines ont-elles assez à faire d’être ce qu’elles sont, avec le perpétuel conflit de sentimens et d’idées qui se livre dans leurs cœurs, et sous le poids de la douloureuse fatalité tragique dont nous les voyons accablés. Bien loin de constituer un « symbole, » la « tragi-comédie » de M. Hauptmann pourrait être appelée un simple « fait-divers, » un épisode passager de l’existence quotidienne de l’un des faubourgs d’une capitale, et n’ayant d’intérêt pour nous qu’en raison du relief prêté par le dramaturge à toutes les nuances des humbles petites âmes qui y prennent part. Jamais encore jusqu’ici M. Hauptmann n’avait consenti à traiter un thème aussi concret, aussi incapable de donner lieu à l’évocation de l’un de ces problèmes qu’aimait à nous proposer le poète de Rosmersholm et du Canard sauvage ; mais jamais non plus la délicate vigueur de son talent, sa maîtrise de psychologue, son entente des secrets de la vie scénique ne se sont traduites à nous avec plus d’aisance et de naturel.

Le premier acte de la pièce n’est, lui aussi, qu’une façon de pro logue, et beaucoup moins destiné à engager l’action qu’à nous en exposer les figures principales. Nous y apprenons seulement qu’une certaine Mme John, femme d’un ouvrier maçon, et s’occupant elle-même à « faire le ménage » d’un vieil acteur et professeur de déclamation, est en train de s’entendre avec une autre servante » Pauline Piperkarska, afin que celle-ci lui vende l’enfant qu’elle doit mettre au