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agricoles intéressés, en raison de contrats spéciaux, à la production et à la plus-value du fonds qu’ils contribuent à exploiter. D’autre part, la condition sociale de la plupart des paysans est aussi instable qu’elle est mal définie : le petit propriétaire devient fermier, le fermier achète de la terre, l’ouvrier journalier lui-même aspire à posséder, et souvent y parvient. Mais l’attachement au sol se révèle à peu près égal chez tous les cultivateurs ; et il s’explique surtout, pour ceux qui ne possèdent pas, par l’espoir très ferme et nullement chimérique de posséder un jour. Non seulement, dans la population ouvrière des campagnes, les salariés proprement dits forment le petit nombre, mais ils ne considèrent pas leur état de salarié comme définitif : ils sont, ainsi qu’on l’a dit, des candidats à la propriété.

On comprend dès lors que les travailleurs des champs fassent ordinairement peu d’accueil aux exhortations de ceux qui les poussent à s’organiser, leur recommandent l’action collective et leur prêchent la lutte de classes. Outre qu’une lutte est fort difficile à susciter entre des classes qui se pénètrent, et dont les intérêts s’enchevêtrent souvent au point de se confondre, l’ouvrier agricole se soucie médiocrement d’améliorer le sort d’une classe, ou d’une catégorie, à laquelle il pense n’appartenir qu’en passant : s’il s’impose lui-même des efforts et des sacrifices, c’est toujours en vue d’améliorer son propre sort, et souvent dans l’espoir de changer de condition. Ainsi l’idée, la forme socialiste, qui avait rencontré dans les ateliers des villes une matière homogène, stable et facile à organiser, ne trouve aux champs qu’une masse faite d’élémens multiples, peu distincts et toujours changeans, où la complexité et la confusion des états, des intérêts et des tendances déconcertent sa logique et embarrassent son action.

Les socialistes français n’ont pas été les derniers à reconnaître cet obstacle ; mais il ne semble pas qu’ils se soient encore résolus à l’aborder de front. Certes, ils ont encouragé les ouvriers agricoles à se constituer en syndicats et à soutenir par la grève leurs revendications contre les propriétaires. Ils ont aidé ou promis d’aider les métayers à obtenir l’abolition de certaines clauses de leur contrat, onéreuses ou vexatoires. Surtout ils se sont appliqués à mettre la main sur les coopératives agricoles et à leur donner un caractère collectiviste que beaucoup d’entre elles ne comportaient point. Mais les chefs du