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France, au contraire, elles ont connu l’avantage de faire partie d’un État unifié et puissant. Pour cette raison, les habitudes et les traditions françaises, comme aussi la littérature, ont noué un lien solide dans les classes supérieures de la société. — Si c’est là le vrai motif du vieil attachement des Alsaciens-Lorrains à la France, comment expliquer qu’ils ne s’attachent pas aujourd’hui à l’Allemagne, qui est devenue à son tour un État unifié et très puissant ? Il doit y avoir d’autres raisons à l’éloignement qu’ils éprouvent aujourd’hui pour elle. La France a ouvert largement le foyer de la patrie aux Alsaciens-Lorrains ; elle ne les a pas distingués des autres citoyens ; elle les a mis sur le même pied qu’eux ; elle leur a témoigné de la confiance et de la sympathie et elle en a naturellement trouvé chez eux. Leur sort a été tout autre en Allemagne. Après quarante ans qu’ils en font partie, on leur répète qu’ils restent la propriété commune des États confédérés et qu’ils ne peuvent pas obtenir l’égalité avec eux. Est-il extraordinaire que des différences de traitement aussi tranchées aient amené chez eux des différences de sentimens envers leurs deux patries successives ? Mais arrêtons-nous : ce n’est pas à nous qu’il appartient de dire aux Allemands ce qu’ils auraient à faire pour s’attacher les Alsaciens-Lorrains. Au surplus, quand même nous le leur dirions, il y a la manière… C’est un don qui ne se communique pas.

Nous n’analyserons pas ici la discussion du Reichstag. A l’exception d’un pangermaniste effréné, M. Liebermann de Sonnenberg, tous les orateurs ont parlé avec modération et ont soutenu leurs thèses par les meilleurs argumens. M. Bassermann, au nom des libéraux-nationaux, M. de Hertling au nom des catholiques, se sont montrés, le second surtout, plus généreux que le gouvernement. Les discours des Alsaciens-Lorrains, M. Preiss, M. Grégoire, M. l’abbé Wetterlé, ont été écoutés avec convenance et ont semé des germes pour l’avenir. « Faites aux Alsaciens-Lorrains, a dit M. Preiss, un foyer dans lequel ils se sentent bien et puissent ainsi oublier un passé heureux. Laissez-les vivre et s’arranger comme le veut leur esprit particulier. L’Empire allemand ne pourrait que gagner à suivre l’exemple de la France. Vous possédez la langue, vous possédez la force, mais il y a quelque chose que vous n’avez pas, c’est la générosité. Ce que nous demandons, ce n’est pas de la générosité, c’est de l’équité. » M. l’abbé Wetterlé a eu le principal succès ; il a été vif, pressant, spirituel. « Aucun parti nationaliste, a-t-il dit, n’existe en Alsace-Lorraine. Le malentendu provient simplement du fait que les deux populations, vainqueurs et opprimés, vivent côte à côte sans se comprendre, ni se